Douleur : l’influence du psychisme

septembre 30th, 2014

Douleur : l’influence du psychisme
Mots clés : psychologie, douleur
– le 26/09/2014
Quand les sensations douloureuses deviennent chroniques, nos émotions elles aussi se mettent à avoir mal.
Depuis plusieurs mois, Corinne, 49 ans, souffre d’une lombalgie récurrente. Les images IRM n’ont rien montré de précis. Anti-inflammatoires puissants, antalgiques, acupuncture, mésothérapie, infiltrations… Rien n’y a fait. Au point que son entourage commence à se lasser de ses refus de sortir ou de se distraire. Et les interprétations sauvages vont bon train: «Ah oui, tu en as vraiment plein le dos», ironisent ses collègues… «J’en ai assez d’entendre dire que tout cela vient de la tête», se plaint Corinne. «Le coup de poignard que je ressens dans mes reins chaque fois que je me lève est bien physique!»

«C’est une tentation courante», observe Martine Derzelle, psychologue-psychanalyste au Centre de lutte contre le cancer de Reims et chargée de cours à la faculté de médecine. «Pour peu que rien n’ait été trouvé au niveau organique concernant cette douleur, et chez les soignants comme dans le grand public, reste le diagnostic d’élimination: c’est le psychologique qui est en cause.» On pense même parfois à une simulation, une faiblesse émotionnelle ou un produit de l’imaginaire. «En réalité, pour nous qui travaillons cette dimension, le sens psychologique d’une douleur est très technique», ajoute la psychologue.

C’est qu’en matière de douleur chronique, apparemment inexplicable et pourtant installée, l’affaire n’est pas simple. «C’est l’histoire de la poule et de l’œuf», observe Martine Derzelle. «Un patient douloureux est-il déprimé à cause de sa douleur ou celle-ci est-elle d’autant plus lancinante qu’il est déprimé?»

Douleurs psychiques, plaintes corporelles
Frederick Dionne, psychologue clinicien au Centre hospitalier universitaire de Québec, qui vient de publier Libérez-vous de la douleur par la méditation et l’ACT(Éd. Payot), concentre d’ailleurs l’essentiel de sa thérapie à démêler cet écheveau de pensées réactionnelles qui fait insidieusement passer du mal physique à la souffrance: «Anxiété, colère, dramatisation de celle-ci sont les plus fréquentes», explique-t-il. «Mais on peut aussi rencontrer des kinésiophobies (peurs de bouger) ou carrément la peur d’avoir mal. Il s’agit alors d’aider la personne à prendre conscience de ces mécanismes cognitifs afin de la remettre en action.» Plus complexes encore, ces plaintes corporelles qui sont venues s’installer en lieu et place de douleurs psychiques qu’on n’a pu mettre en mots. «C’est alors éminemment trompeur», explique Martine Derzelle. «Derrière la plainte qui nous est adressée, il nous faut investiguer. Ainsi, chez certains patients ayant fini leurs traitements anticancéreux et qui sont en rémission, des douleurs séquellaires permettent de “déplacer” leur angoisse d’une rechute ; chez d’autres, le mal physique est venu en lieu et place d’une perte significative (chômage ou deuil) qui n’a pas été élaborée.»

C’est alors le langage, la mise en mots qui s’avère particulièrement thérapeutique. Pour la psychanalyse, certaines structures de personnalité sont prédisposées à ce type de somatisations (déjà mises à jour par Charcot avec les hystériques). Plus profondes encore, ces douleurs physiques – souvent causées par des accidents de voiture – qui sont arrivées alors qu’un mal psychique, voire une tentation suicidaire, rongeait la personne sans qu’elle en ait jamais parlé. «Réparer les maux physiques ne représente alors que la moitié du travail», estime Martine Derzelle. «Il faut ensuite remonter à la source de ces dégâts.»

On le voit, tout un faisceau psychique enserre la douleur organique, comme une gangue à découvrir et à désamorcer.

«Il y a aussi la bataille que livrent les douloureux chroniques avec l’idée qu’existe une solution qui enlèvera complètement leur mal, observe Frederick Dionne. Or il s’agit dans de nombreux cas de tenter d’autres solutions, incomplètes, comme méditer, ne plus chercher à contrôler ses sensations et émotions, et enfin apprivoiser sa douleur pour mieux la tolérer.» C’est là tout l’objet de la thérapie ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement) doublée de séances de méditation. Une étude a notamment montré que celle-ci permet de réduire de 40 % l’intensité de la douleur et de 57 % son caractère désagréable.

La prise de conscience que la douleur est à soigner comme une réelle maladie s’est désormais étendue. «Entre 0 et 10, vous avez mal à combien?» demandent systématiquement les soignants à tout nouveau patient susceptible d’avoir mal. «C’est un réel progrès», commente Martine Derzelle. «Mais cette évaluation rapide, tout comme le recours aux morphiniques, ne doit pas occulter une réelle parole sur la douleur.»

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