Les abeilles sous haute surveillance

mai 24th, 2014

Les abeilles sous haute surveillance
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Publié le 23/05/2014 à 18:38

Les scientifiques tentent d’enrayer le déclin des colonies de pollinisateurs.

Mortalité des abeilles, accusés montrez-vous! Pesticides, pathogènes, méthodes agricoles, prédateurs, changements climatiques… Les scientifiques cherchent tous azimuts. Ils en sont désormais persuadés: il n’existe pas une seule explication à l’effondrement des communautés d’insectes, mais toutes ces causes interagissent les unes avec les autres.

« En France, le déclin a commencé en 1995 »

Yves Le Conte, le directeur de l’unité de recherche Abeilles et environnement d’Avignon
Cela fait plusieurs années maintenant que dans le monde entier, des alertes sont lancées sur des chutes, parfois subites, du nombre de colonies d’abeilles domestiques et d’abeilles sauvages, dont le rôle est absolument primordial pour la pollinisation des plantes. «Si on parle de tonnage, 35 % de ce que nous mangeons dépend directement de leur travail silencieux, si on parle de diversité c’est 84 % des espèces cultivées en Europe et 80 % des plantes sauvages qui ont besoin d’elles pour s’échanger du pollen et se reproduire», rappelle l’Inra (Institut national de la recherche agronomique).

Dans l’unité de recherche Abeilles et environnement d’Avignon, le travail des scientifiques est exclusivement dédié à la compréhension du déclin des insectes pollinisateurs au premier rang desquelles Apis mellifera, la productrice de miel. «En France, le déclin a commencé en 1995», souligne Yves Le Conte, le directeur de l’unité. À cette époque intervient la première mise en cause d’un insecticide utilisé massivement dans les champs: le Gaucho qui sera interdit en France pour certaines semences. Puis vient le tour du Régent (principe chimique: fipronil) et enfin celui de différentes molécules de la famille des néonicotinoïdes qui font l’objet d’un moratoire depuis 2013.

La découverte la plus importante quant aux pesticides tient à leur nocivité même à de très faibles doses. Les chercheurs ont ainsi pu mettre en évidence des troubles du comportement à commencer par l’incapacité dans certains cas pour les insectes à retrouver les ruches ou à communiquer avec leurs congénères, difficulté à maintenir la température de leur corps, perturbation de leur odorat… Autant d’impacts qui les fragilisent considérablement et favorise leur disparition.

Mais ce serait trop simple s’il n’y avait que cela: les pesticides bien souvent se combinent avec la présence de prédateurs tels que le varroa, un acarien destructeur de ruches apparu en France dans les années 1980, ou encore Nosema ceranae un champignon microscopique qui attaque l’intestin de l’insecte. Sans oublier les virus qui peuvent accompagner cette petite ménagerie.

«Il existe 25 espèces de virus responsables notamment de paralysie ou du syndrome des ailes déformées», précise Anne Dalmon, spécialiste des virus au centre Inra d’Avignon, et leur présence a explosé avec l’arrivée du varroa. L’une des complexités est de savoir qui des pesticides ou des pathogènes est à l’origine de la baisse de défense immunitaire des abeilles. «Il existe des interactions entre le champignon Nosema et les pesticides ou entre les virus et les pesticides, mais il est très difficile de savoir quelle est la cause et quelle est la conséquence», précise la virologue.

Individualiser les abeilles grâce à des petits dossards chiffrés et colorés
Récemment les apiculteurs se sont également inquiétés de la longévité des reines dont certaines ne vivent plus que douze à dix-huit mois au lieu des trois ans. Un facteur lié à leur fécondité, et qui dépend à son tour de la qualité du sperme qu’elles reçoivent des mâles, les faux bourdons. «Les premiers résultats montrent que la qualité des semences des mâles est affectée dès lors que l’on retrouve des pesticides ou des pathogènes dans la nourriture, souligne le toxicologue Jean-Luc Brunet. Nous allons inséminer des reines avec ces semences affaiblies pour voir si on peut faire le lien avec la durée de vie des reines», poursuit le chercheur. Penché sur de minuscules étiquettes de différentes couleurs, Didier Crauser est une autre personnalité de l’unité d’Avignon. Cet apiculteur qui travaille depuis fort longtemps avec l’Inra s’est petit à petit spécialisé dans une tâche essentielle: le comptage des abeilles. Il a mis au point un système «unique au monde» souligne Yves Le Conte, qui va être commercialisé prochainement. Le système permet d’individualiser les abeilles grâce à des petits dossards chiffrés et colorés. Une caméra placée à l’entrée de la ruche permet d’enregistrer sur ordinateur toutes leurs allées et venues au cours d’une journée.

Comment se comportent les abeilles? À quel âge sortent-elles pour la première fois? Quel impact pour celles qui ont été en contact avec des pesticides? Pour celles contaminées par le varroa? Combien ne retrouvent jamais le chemin de la ruche? Les questions sont encore nombreuses. «Le déclin des abeilles est devenu aujourd’hui un sujet politique», reconnaît Yves Le Conte. L’Europe aurait besoin de 13,4 millions de colonies d’abeilles en plus pour ses cultures rappelle l’Inra. Pour les scientifiques la course contre la montre ne fait que commencer.

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