Pomme de terre L’incroyable épopée, des Andes à Versailles

décembre 21st, 2013

Pomme de terre L’incroyable épopée, des Andes à Versailles

La pomme de terre figure aujourd’hui parmi les aliments de base des Européens. On la retrouve sous toutes les formes (bouillie, frite ou rôtie) dans la plupart des recettes, y compris les plus raffinées.

Les navigateurs espagnols qui la ramenèrent du Pérou à la fin du XVIe siècle en auraient été bien étonnés. En effet, longtemps on a vu dans ce tubercule un aliment de dernier recours pour les pauvres et les animaux, voire un mets toxique ou ensorcelé.

Les réticences ont été plus grandes en France que partout ailleurs et il a fallu toute la diplomatie d’un pharmacien des armées, Antoine Parmentier, pour convaincre le roi Louis XVI et ses compatriotes d’en faire leur ordinaire.

Parmentier offre une fleur de pomme de terre à Louis XVI (gravure extraite d'un livre scolaire, début du XXe siècle)

Une lente acculturation

Axomama, déesse de la pomme de terre, culture Moche, PérouLes Incas ont découvert les pommes de terre au XIIIe siècle dans les hauts plateaux des Andes, et en ont fait leur aliment de base sous le nom de papas.

Pizarre et ses conquistadors n’y prêtent guère attention, de même que les colons espagnols qui viennent après eux et les appellent patatas. En 1588, le roi d’Espagne en reçoit quelques spécimens et en fait don au pape pour soigner sa goutte.

Un botaniste de Vienne les représente sur de superbes planches botaniques sous le nom latinisant de «taratufli» (petite truffe). Le mot est déformé en Kartofel par les Allemands, kartopfel par les Russes, tartufoli par les Italiens et cartoufle par les Français.

Petit à petit, le nouveau féculent venu des Andes va bouleverser les habitudes de consommation des Européens.

De fortes réticences

Fleur de pomme de terre (Elisabeth Blackwell. Herbarium Blackwellianum emendatum et auctum, idest, Collectio stirpium. Nuremberg, 1760)À la fin du XVIe siècle, des religieux commencent à cultiver des patatas dans un monastère de Séville en vue de nourrir les pauvres à moindres frais.

Des mercenaires espagnols impliqués en Allemagne dans la guerre de Trente Ans (1618-1648) les font découvrir aux habitants.

En Virginie, des colons anglais en manque de nourriture reçoivent du corsaire Francis Drake des patatas que celui-ci a récupérées au cours de ses errances le long de la côte chilienne.

Rapatriés deux ans plus tard en Angleterre, ces colons font connaître les patatas (en anglais potatoes) à leurs compatriotes. Elles vont connaître en Irlande  une fortune inespérée jusqu’à la grande famine de 1845-1849, due à une maladie de la pomme de terre.

En France, c’est seulement dans les régions pauvres et périphériques que la pomme de terre trouve à s’acclimater. L’agronome Olivier de Serres la cultive dans sa ferme modèle du Pradel. Mais les préjugés ont la vie dure.

Dans les régions prospères, le tubercule est méprisé notamment parce qu’il n’est panifiable, par manque de gluten. Il est jugé toxique et, pire, rangé parmi les plantes ensorcelantes.

Le chantre de la pomme de terre

La pomme de terre va enfin acquérir ses lettres de créance en 1771, quand, à la suite de plusieurs disettes, l’Académie de Besançon offre un prix à celui qui répondra au mieux à la question : «Quels sont les végétaux qui pourraient suppléer en temps de disette à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des hommes, et quelle devrait en être la préparation ?».

L’heureux lauréat est Antoine Augustin Parmentier, né à Montdidier (Picardie) 35 ans plus tôt.

Apothicaire-major à l’hôtel royal des Invalides, il recommande chaudement la pomme de terre après en avoir éprouvé les bienfaits pendant la guerre de Sept Ans, quand, pharmacien aux armées, il avait été capturé par les Prussiens et, pendant deux semaines, en 1763, avait été nourri de pommes de terre en bouillie.

Grâce à une pension du roi Louis XVI, il travaille dès lors sans relâche sur la pomme de terre et convainc le roi de lui prêter le terrain de manœuvres des Sablons, à l’ouest de Paris, qui comme son nom l’indique, est sablonneux et impropre à l’agriculture conventionnelle.

Le 15 mai 1786, il y plante deux arpents de pommes de terre sous les quolibets des Parisiens. Une fois la floraison venue, le 24 août 1786, le pharmacien cueille un bouquet de fleurs et court à Versailles l’offrir au roi.

Louis XVI accroche une fleur à sa boutonnière et en pique dans la coiffure de la reine. Bientôt la pomme de terre fait son apparition à la table royale. Le ton est donné. La production et la consommation de pommes de terre ne vont plus dès lors cesser de croître jusqu’à la fin du XXe siècle.

La Révolution encourage les efforts de Parmentier. Celui-ci poursuit son œuvre de propagande  et suggère à ses compatriotes d’innombrables manières d’accommoder les tubercules, y compris la recette qui portera son nom, le «hachis Parmentier», qui consiste à accommoder les restes de viande avec de la purée de pomme de terre.

Récompensé de ses efforts, il entre à l’Institut en 1796 et la pomme de terre est même un temps rebaptisée en son honneur «parmentière».

Antoine Parmentier en habit d'académicien présente les plantes qu'il a étudiées (François Dumont, 1812, musée de Versailles)

Bibliographie

On peut lire sur le sujet le livre de Maguelonne Toussaint-Samat, Histoire naturelle et morale de la nourriture (Bordas, 1987) et l’article d’Anne Muratori-Philip dans Historia (mars 2013).

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