Ce que le patrimoine français doit à l’agriculture

septembre 20th, 2014

Ce que le patrimoine français doit à l’agriculture
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Mis à jour le 19/09/2014 à 20:40
Publié le 19/09/2014 à 19:22
FIGAROVOX/TRIBUNE – A l’occasion des journées du patrimoine, Jean-Robert Pitte rappelle que nos champs, nos paysages ruraux, nos céréales et nos produits alimentaires font aussi partie des trésors français.
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Jean-Robert Pitte est membre de l’Institut et Président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires.
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L’un des rares passages sérieux et émouvants de La Grande vadrouille est la scène du wagon-restaurant au cours de laquelle un officier allemand amoureux de la France admire le paysage et récite par cœur, dans un français parfait, devant un parachutiste anglais clandestin, le premier quatrain de la Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres de Péguy:

«Étoile de la mer, voici la lourde nappe, / Et la profonde houle et l’océan des blés / Et la mouvante écume de nos greniers comblés, / Voici votre regard sur cette immense chape.»

Les vastes champs céréaliers du Bassin Parisien ont depuis toujours nourri l’imaginaire français. Les cathédrales disent dans tout leur décor ce qu’elles doivent bien sûr à la foi, mais aussi à la prospérité agricole du plat pays qu’elles dominent. Georges Duby l’a écrit dans Le temps des cathédrales: «Sur un fond de moissons nouvelles et de jeunes vignobles se sont dressées les tours de Laon: sculptée dans la pierre, la figure des bœufs de labour les couronne.»

Bouillies et galettes de céréales laissent progressivement place à la bière, puis au pain qui sont bien plus digestes et qui deviennent des symboles de vie.

Cette fascination pour les céréales et les labours qui les font naître nous vient de l’aube des temps néolithiques, du moment où nos ancêtres ont compris comment on pouvait maîtriser le règne végétal par l’agriculture et animal par l’élevage, au lieu de vivre de cueillette et de chasse. Comme l’archéologue Jacques Cauvin l’a montré, ce seuil technique majeur a été précédé -et non suivi- d’une révolution religieuse avec l’apparition du culte des déesses-mères et du taureau, symboles de la compréhension du processus de transmission de la vie. C’est très rassurant pour notre avenir sur la terre: l’esprit, la volonté et l’imaginaire humains commandent à la matière, ainsi qu’à la vie végétale et animale. C’est au même moment que l’homme acquiert la maîtrise des ferments. Bouillies et galettes de céréales laissent progressivement place à la bière, puis au pain qui sont bien plus digestes et qui deviennent des symboles de vie.

Dès lors que les céréales qui se conservent bien permettent une alimentation saine et suffisante, la sédentarisation, l’augmentation de la population, puis l’urbanisation, les sociétés du Croissant fertile et de la Méditerranée les relient à une divinité majeure de leur panthéon: Ashnan à Sumer, Osiris en Égypte, Déméter en Grèce, Cérès à Rome, Sucellos chez les Gaulois. Chez les Hébreux, les céréales sont un don du Dieu unique. C’est du pain accompagné de vin que le Grand Prêtre Melchisédech offre au Créateur. Et le Deutéronome évoque la Terre promise, «pays de froment et d’orge […], pays où le pain ne t’est pas mesuré». Nombre de passages évangéliques mettent en scène les céréales, le semeur et le pain qui permet la vie terrestre et devient garant de Vie éternelle après l’institution par Jésus de l’Eucharistie.

Toute notre culture européenne et française est imprégnée depuis des millénaires de vénération pour les céréales et pour les aliments qui en sont issus. C’est la raison pour laquelle il est si important de continuer à inculquer ce respect aux jeunes enfants et de leur expliquer d’où vient le pain, d’où viennent les pâtes.

Toute notre culture européenne et française est imprégnée depuis des millénaires de vénération pour les céréales et pour les aliments qui en sont issus. C’est la raison pour laquelle il est si important de continuer à inculquer ce respect aux jeunes enfants et de leur expliquer d’où vient le pain, d’où viennent les pâtes, d’où viennent les gâteaux qu’ils aiment tant, mais aussi que, sans céréales, ils ne mangeraient guère de viande et ne boiraient guère de lait. Au blé, à l’orge, au seigle, sont venues s’ajouter deux céréales exotiques arrivées l’une d’Orient, via l’Andalousie, à la fin du Moyen Âge, c’est le riz, l’autre d’Amérique au XVIe siècle, c’est le maïs. Nous ne saurions plus nous en passer et elles témoignent des bienfaits d’une mondialisation intelligente.

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