J’entends, j’entends

J’entends, j’entends

Louis Aragon

J’entends j’entends le monde est là
Il passe des gens sur la route
Plus que mon cœur je les écoute
Le monde est mal fait mon cœur las

Faute de vaillance ou d’audace
Tout va son train rien n’a changé
On s’arrange avec le danger
L’âge vient sans que rien se passe

Au printemps de quoi rêvais-tu
On prend la main de qui l’on croise
Ah mettez les mots sur l’ardoise
Compte qui peut le temps perdu
 

Tous ces visages ces visages
J’en ai tant vu des malheureux
Et qu’est ce que j’ai fait pour eux
Sinon gaspiller mon courage

Sinon chanter chanter chanter
Pour que l’ombre se fasse humaine
Comme un dimanche à la semaine
Et l’espoir à la vérité
 

J’en ai tant vu qui s’en allèrent
Ils ne demandaient que du feu
Ils se contentaient de si peu
Ils avaient si peu de colère

J’entends leurs pas j’entends leurs voix
Qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal
Comme on en dit le soir chez soi
 

Ce qu’on fait de vous hommes femmes
Ô pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m’arrache l’âme

Les choses vont comme elles vont
De temps en temps la terre tremble
Le malheur au malheur ressemble
Il est profond profond profond
 

Vous voudriez au ciel bleu croire
Je le connais ce sentiment
J’y crois aussi moi par moments
Comme l’alouette au miroir

J’y crois parfois je vous l’avoue
A n’en pas croire mes oreilles
Ah je suis bien votre pareil
Ah je suis bien pareil à vous
 

A vous comme les grains de sable
Comme le sang toujours versé
Comme les doigts toujours blessés
Ah je suis bien votre semblable

J’aurais tant voulu vous aider
Vous qui semblez autres moi-même
Mais les mots qu’au vent noir je sème
Qui sait si vous les entendez
 

Tout se perd et rien ne vous touche
Ni mes paroles ni mes mains
Et vous passez votre chemin
Sans savoir ce que dit ma bouche

Votre enfer est pourtant le mien
Nous vivons sous le même règne
Et lorsque vous saignez je saigne
Et je meurs dans vos mêmes liens
 

Quelle heure est-il quel temps fait-il
J’aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant
Avoir été peut-être utile

C’est un rêve modeste et fou
Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d’un trou

 

Adélaïde

Adélaïde

Jacques Debronckart

Qu’ils soient d’ici où de n’importe quel parage
Moi j’aime bien les gens qui sont de quelque part
Et portent dans leur cœur une ville ou un village
Où ils pourraient trouver leur chemin dans le noir
Voilà pourquoi Jean de Bordeaux, François de Nantes
Voilà pourquoi Laurent le gars du Canigou
Pierre le Normand et toi Joël de la Charente
J’aime tant vous entendre parler de chez vous.

Quand le dernier verre se vide
Dans les bars d’Adélaïde
On a le cœur qui se vide aussi
Lorsque l’on pense au pays !

Chaque premier janvier on dit c’est la dernière
La dernière année que je passe en Australie
Et le premier janvier suivant nous voit refaire
Même serment qui sombre à son tour dans l’oubli
Ca serait pourtant le moment de revoir nos plages
Car les pays se ressemblent de plus en plus
Et dans dix ans nous trouverons dans nos villages
Des distributeurs de hot-dog au coin des rues !

Le whisky parait acide
Dans les bars d’Adélaïde
Lorsque l’on garde au palais
Le souvenir du Beaujolais

Et dans vingt ans sans avoir revu nos falaises
Citoyens d’Australie conscients de leurs devoirs
A nos enfants nous apprendrons la langue française
Mais leur accent ne sera pas celui du terroir
Alors dis-moi de nos vingt ans François de Nantes
De nos vingt ans Laurent le gars du Canigou
Pierre le Normand et toi Joël de la Charente
Nos vingt ans d’aujourd’hui vous en souviendrez-vous ?

Quand le dernier verre se vide
Dans les bars d’Adélaïde
On a le cœur qui se vide aussi
Lorsque l’on pense au pays !

https://www.youtube.com/watch?v=3a24lSSnN4w

Point de vue

Point de vue
Martine Merri  (musique de Jean Arnulf)

Le soleil brille pour tout le monde
Quand, à la Méditerranée,
On s’ donne la main, on fait la ronde.
Et chacun peut en profiter.

Faudrait voir à pas mélanger
Les torchons avec les serviettes,
Le caviar et la vache enragée,
Les clochards avec les starlettes.

Moi, j’dis qu’ l’hiver a pas l’ même goût
Selon comment on le regarde.
Moi, j’dis qu’ l’hiver a pas l’ même goût
A Megève ou sous l’ pont de Saint-Cloud.

Sur la Seine, y a des bateaux-mouches
Avec des dames en décolleté
Qui rient très haut et font des touches…
Et y a aussi les suicidés.

Faudrait voir à pas mélanger
Les torchons avec les serviettes,
L’ malheur et l’imbécillité,
La fringale et le coup d’ fourchette.

Moi, j’ dis qu’ la Seine a pas l’ même goût
Selon comment on la regarde.
Moi, j’ dis qu’ la Seine a pas l’ même goût
Vue par en-dessus ou par en-dessous.

Y a des murs où, au matin blême,
On met en rang les entêtés.
Y a des murs où, au matin blême,
On assassine la Liberté.

Faudrait voir à pas mélanger
Les torchons avec les serviettes,
Les martyrs et les médaillés,
Les généraux et les poètes.

Moi, j’ dis qu’ l’Honneur a pas l’ même goût
Selon comment on le regarde.
Moi, j’ dis qu’ la Mort a pas l’ même goût
Vue par en-dessus ou par en-dessous.

Y avait Fanny qui chantait

 

Y avait Fanny qui chantait

Delécluse et Fricaut

 

Dans ce bled il faisait chaud
L’ennui nous trouait la peau
L’on partait sans savoir si
L’on reviendrait au pays
A la caserne le soir
On avait souvent l’cafard
Heureusement y avait Fanny
J’y pense encore aujourd’hui

Y avait Fanny qui chantait
Dans ce pauvre cabaret
Y avait Fanny qui chantait
Et nous autres on l’écoutait

Certains soirs c’était fatal
Ses chansons nous faisaient mal
Alors on riait plus fort
Et l’on buvait plus encore

Mais Fanny qui le savait
Venait vers nous et trinquait
Heureusement y avait Fanny
J’y pense encore aujourd’hui
Y avait Fanny qui chantait
Dans ce pauvre cabaret
Y avait Fanny qui chantait
Et nous autres on l’écoutait

Un jour on est reparti
Car la guerre était finie
Mais au milieu du chemin
Fanny pleurait dans ses mains

Alors on lui a souri
Que voulez-vous, c’est la vie !
Et la chanson de Fanny
J’y pense encore aujourd’hui

Y avait Fanny qui chantait
Dans ce pauvre cabaret
Y avait Fanny qui chantait
Et nous autres on l’écoutait

 

La Commune est en lutte

La Commune est en lutte

Jean Roger Caussimon

http://www.dailymotion.com/video/x3r80v_la-commune-est-en-lutte_shortfilms

 

Sans doute, mon amour, on n’a pas eu de chance
Il y avait la guerre
Et nous avions vingt ans
L’hiver de 70 fut hiver de souffrance
Et pire est la misère
En ce nouveau printemps…
Les lilas vont fleurir les hauteurs de Belleville
Les versants de la Butte
Et le Bois de Meudon…
Nous irons les cueillir en des temps plus faciles…
La Commune est en lutte
Et demain, nous vaincrons…

 

Nous avons entendu la voix des camarades :
« Les Versaillais infâmes
Approchent de Paris… »
Tu m’as dit : « Avec toi, je vais aux barricades
La place d’une femme
Est près de son mari… »
Quand le premier de nous est tombé sur les pierres
En dernière culbute
Une balle en plein front
Sur lui, tu t’es penchée pour fermer ses paupières…

 

La Commune est en lutte
Et demain, nous vaincrons…

 

Ouvriers, paysans, unissons nos colères
Malheur à qui nous vole
En nous avilissant…
Nous voulons le respect et de justes salaires
Et le seuil des écoles
Ouvert à nos enfants…
Nos parents ne savaient ni lire ni écrire
On les traitait de brutes
Ils acceptaient l’affront…
L’Égalité, la vraie, est à qui la désire…

 

La Commune est en lutte
Et demain, nous vaincrons…

 

Les valets des tyrans étaient en plus grand nombre
Il a fallu nous rendre
On va nous fusiller
Mais notre cri d’espoir qui va jaillir de l’ombre
Le monde va l’entendre
Et ne plus l’oublier…
Soldats, obéissez aux ordres de vos maîtres
Que l’on nous exécute
En nous visant au cœur
De notre sang versé, la Liberté va naître…

 

La Commune est en lutte
Et nous sommes vainqueurs…

Poste restante

Poste restante

Guy Béart

https://www.youtube.com/watch?v=CepAkgrHvOc

 

On s´écrivait de tendres choses
Des mots pervers mais innocents
Et rouges comme notre sang
De les redire ici je n´ose

J´ai tenté de brûler ces pages
Rien à faire et je les relis
Tes arrondis les yeux remplis
De ces courbes à ton image

On s´écrivait poste restante
Au rendez-vous des apprentis
Au rendez-vous des sans-logis
Que sont les amours débutantes

Quand tu me griffais de ta plume
Je restais tout pale interdit
Sous ta griffe encore aujourd´hui
Ma fièvre ancienne se rallume

Depuis lors sous d´autres couleurs
J´ai battu je me suis fait battre
Ta guerre seule est opiniâtre
Tu m´avais fait battre le cœur

Un jour ma lettre me revint
Tu n´allais plus jusqu´à la poste
Tu avais déserté le poste
Et mes lettres partaient en vain

Et revenaient me prendre ailleurs
Ici là je changeais d´adresse
Et m´atteignaient dans ma détresse
Tous ces « retours à l´envoyeur »

Que monte une flamme nouvelle
Sur cette cendre désormais
Si tu vois combien je t´aimais
Entre tes lignes se révèle

Ce qu´hier je n´ai pas su lire
Il faut du temps pour faire un cœur
N´as-tu pas détruit par rancœur
Ce qu´hier je n´ai pas su dire..

La Montagne

La Montagne
Jean Ferrat

Ils quittent un à un le pays
Pour s’en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné
Les vieux ça n’était pas original
Quand ils s’essuyaient machinal
D’un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tirer la caille ou le perdreau
Et cailler la tomme de chèvre


Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ?


Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu’au sommet de la colline
Qu’importent les jours les années
Ils avaient tous l’âme bien née
Noueuse comme un pied de vigne
Les vignes elles courent dans la forêt
Le vin ne sera plus tiré
C’était une horrible piquette
Mais il faisait des centenaires
A ne plus que savoir en faire
S’il ne vous tournait pas la tête

Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ?

Deux chèvres et puis quelques moutons
Une année bonne et l’autre non
Et sans vacances et sans sorties
Les filles veulent aller au bal
Il n’y a rien de plus normal
Que de vouloir vivre sa vie
Leur vie ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s’en faire
Que l’heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l’on aime
Et rentrer dans son H.L.M.
Manger du poulet aux hormones

Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ?

Le Dernier Repas

Le Dernier Repas

Jacques Brel

https://www.youtube.com/watch?v=4dfDCMLnQqA

 

A mon dernier repas
Je veux voir mes frères
Et mes chiens et mes chats
Et le bord de la mer
A mon dernier repas
Je veux voir mes voisins
Et puis quelques Chinois
En guise de cousins
Et je veux qu’on y boive
En plus du vin de messe
De ce vin si joli
Qu’on buvait en Arbois
Je veux qu’on y dévore
Après quelques soutanes
Une poule faisane
Venue du Périgord
Puis je veux qu’on m’emmène
En haut de ma colline
Voir les arbres dormir
En refermant leurs bras
Et puis je veux encore
Lancer des pierres au ciel
En criant Dieu est mort
Une dernière fois

A mon dernier repas
Je veux voir mon âne
Mes poules et mes oies
Mes vaches et mes femmes
A mon dernier repas
Je veux voir ces drôlesses
Dont je fus maître et roi
Ou qui furent mes maîtresses
Quand j’aurai dans la panse
De quoi noyer la terre
Je briserai mon verre
Pour faire le silence
Et chanterai à tue-tête
A la mort qui s’avance
Les paillardes romances
Qui font peur aux nonnettes
Puis je veux qu’on m’emmène
En haut de ma colline
Voir le soir qui chemine
Lentement vers la plaine
Et là debout encore
J’insulterai les bourgeois
Sans crainte et sans remords
Une dernière fois

Après mon dernier repas
Je veux que l’on s’en aille
Qu’on finisse ripaille
Ailleurs que sous mon toit
Après mon dernier repas
Je veux que l’on m’installe
Assis seul comme un roi
Accueillant ses vestales
Dans ma pipe je brûlerai
Mes souvenirs d’enfance
Mes rêves inachevés
Mes restes d’espérance
Et je ne garderai
Pour habiller mon âme
Que l’idée d’un rosier
Et qu’un prénom de femme
Puis je regarderai
Le haut de ma colline
Qui danse qui se devine
Qui finit par sombrer
Et dans l’odeur des fleurs
Qui bientôt s’éteindra
Je sais que j’aurai peur
Une dernière fois

Le Chiffon Rouge

Le Chiffon Rouge

Michel Fugain

 

Accroche à ton cœur un morceau de chiffon rouge
Une fleur couleur de sang
Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge
Lève-toi car il est temps
Allons droit devant vers la lumière
En levant le poing et en serrant les dents
Nous réveillerons la terre entière
Et demain, nos matins chanteront

Compagnon de colère, compagnon de combat
Toi que l’on faisait taire, toi qui ne comptais pas
Tu vas pouvoir enfin le porter
Le chiffon rouge de la liberté
Car le monde sera ce que tu le feras
Plein d’amour de justice et de joie

Accroche à ton cœoeur un morceau de chiffon rouge
Une fleur couleur de sang
Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge
Lève-toi car il est temps

Tu crevais de faim dans ta misère
Tu vendais tes bras pour un morceau de pain
Mais ne crains plus rien, le jour se lève

Compagnon de colère, compagnon de combat
Toi que l’on faisait taire, toi qui ne comptais pas
Tu vas pouvoir enfin le porter
Le chiffon rouge de la liberté
Car le monde sera ce que tu le feras
Plein d’amour de justice et de joie

Les Cerises de Monsieur Clément

Les cerises de Monsieur Clément

Michel Fugain

 Un certain Clément Jean Baptiste
Qui habitait rue Saint-Vincent
Voulant écrire un compliment
Trempa sa plume dans le sang
Qu’elles étaient rouges les cerises
Que nous chantait Monsieur Clément

C’était plus beau qu’un Evangile
C’était des mots de maintenant
Mais il faudrait que nos enfants
N’attendent pas comme on attend
Qu’elles mûrissent les cerises
Que nous chantait Monsieur Clément

Bien sûr c’est difficile
De mourir quand on a vingt ans
Mais pour quelques cerises
Que ne ferait-on au printemps


De République en République
Toujours cocu toujours content
On applaudit les bons truands
Au ventre rond au ventre blanc
Qui nous revendent les cerises
Qu’avait rêvé Monsieur Clément

Tous ces pontifes des Eglises
Tous ces suiveurs de régiments
Voudront nous manger tout vivant
Mais ils se casseront les dents
Sur les noyaux de ces cerises
Du verger de Monsieur Clément

Bien sûr c’est difficile
De mourir quand on a vingt ans
Mais pour quelques cerises
Que ne ferait-on au printemps

https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=FuofdO2jX58