Monthly Archives: octobre 2014

Réchauffement climatique

C’est un lieu commun : Quand on n’a vraiment plus rien à dire,
on parle de la pluie et du beau temps.

A la télé, c’est pareil, plus de réels sujets qui vaillent.
Il n’y a plus de faim dans le monde, plus de tensions au Proche Orient, plus d’inégalités sociales, plus de chômage, ni de starlettes qui montrent leur talent à tous les passants. Même plus d’ecclésiastiques pédophiles, de cyclistes dopés, ni de scandales financiers.

Il faut bien parler de quelque chose. Alors, parlons du réchauffement climatique.

Sans ça, que deviendraient les journalistes cathodiques? Ils iraient pointer à Pôle Emploi.

Et les chercheurs, donc ? Des budgets de recherche qui se réduisent comme peau de chagrin.
Même dans les domaines prometteurs. A fortiori, si vous travaillez dans un labo d’Éthologie..
Surtout si, par malheur, vous avez centré vos travaux sur les mœurs sexuelles des pinnipèdes,
Crédits intégralement supprimés, c’est totalement râpé.
Sauf si vous acceptez de vous mettre au goût du jour, au prix d’une très légère inflexion.

Réchauffement climatique : effets sur l’homosexualité des phoques.

Ça, c’est vendeur. Les sponsors affluent.

Vous n’avez encore écrit que le titre ? Qu’importe ? vous êtes déjà invité au 20 Heures.

Vous ne connaissez strictement rien de l’Histoire des climats ? C’est encore mieux, vous pourrez en parler de façon d’autant plus claire et péremptoire. C’est ça, l’essentiel.

Prenez exemple sur Hulot (pas Monsieur Hulot, l’attendrissant personnage de Tati, non, son homonyme, prénommé Nicolas, le prophète asthmatique des économies d’énergies en 4×4 Turbo diesel)

Utilisez des formules simples, qui frappent le bon peuple .

  • La température augmente, ceux qui disent le contraire sont des criminels.
  • On n’a jamais vu ça auparavant.
  • Nous sommes à la veille d’une catastrophe planétaire
  • Tout ça, c’est la faute de l’homme, avec ses mobylettes qui polluent et ses vaches qui pètent.

Et ne vous laissez pas impressionner par d’éventuels contradicteurs, géologues, glaciologues ou historiens, on ne leur donnera pas le micro..

Répondre point par point serait longuet, Je vous le ferai en plusieurs « saisons », comme disent les cuistres qui veulent se donner un petit air show-business US.

Un homme fort

Jules Renard (1864 – 1910)

On ne voulait pas le croire, mais on le vit bien, qu’il était fort, à la manière calme dont il quitta le banc pour aller, le pas sonore et la tête haute, vers la pile de bois.
Il prit une bûche longue et ronde, non la plus légère, mais la plus lourde qu’il put trouver. Elle avait encore des nœuds, de la mousse, et des ergots comme un vieux coq.
D’abord il la brandit et s’écria : «Regardez, elle est plus dure qu’une barre de fer, et pourtant, moi qui vous parle, je vais la casser en deux sur ma cuisse, ainsi qu’une allumette.»
A ces mots, les hommes et les femmes se dressèrent comme dans une église. Il y avait présents : Barget, le nouveau marié, Perraud, presque sourd, et Ramier qu’on ne fait pas mentir. Papou s’y trouvait, je m’en souviens. Castel aussi, il peut le dire : tous gens renommés, qui racontaient d’ordinaire, aux veillées, leurs tours de force, et se frappaient d’étonnement l’un après l’autre.
Ce soir-là, ils ne riaient plus, je vous assure. Ils admiraient déjà l’homme fort, immobiles et muets. On entendait ronfler derrière eux un enfant couché.
Quand il les sentit dominés, bien à lui, il se campa d’aplomb, ploya le genou et leva la bûche de bois avec lenteur. Un moment, il la tint suspendue au bout de ses bras raidis – les yeux éclataient, les bouches s’ouvraient, douloureuses – puis il l’abattit, han!… et , d’un seul coup, se cassa la jambe.

Au secours, mon citronnier est malade !

Au secours, mon citronnier est malade !

Ah, ces appels poignants de mamans éperdues pour le moindre pet de travers de leur premier lardon. Vite ! le SAMU..
Ou d’acheteurs récents d’un agrume en pot dont les feuilles font un peu la tronche : « Au secours, mon citronnier est malade ! »
Après examen attentif des photos, il s’agit, neuf fois sur dix, d’une plantouille qui, tout simplement, a faim.
Ou soif. Ou bien, qui est en train de se noyer à cause d’une maudite soucoupe pleine d’eau sous le pot. Ou du substrat, pas assez drainant.
Pas de quoi envoyer les hélicos. Ni une équipe complète d’urgentistes.

Rassurée, la cliente ? En partie seulement, car un peu dépitée de ce que l’anomalie, qu’elle pressentait catastrophique, soit en fait si anodine. Et surtout que la cause en soit sa propre incapacité à reconnaître les besoins les plus élémentaires de son élève.


De l’eau, un peu de compost, une pincée d’engrais..

Un peu comme l’état de santé des petits sahéliens, qui serait plus sûrement amélioré en envoyant des bénévoles de Bouchers Sans Frontières, plutôt qu’en leur balançant nos rebuts de vieux médocs périmés récupérés de nos armoires à pharmacie…

Dans le cas sur dix restant, c’est plus grave : une attaque de phytophtora (une maladie crypto foudroyante dont on ne vient à bout que par un traitement radical à l’aliette).
Mais, comme la dame a assorti sa demande d’aide d’un impératif catégorique : « seulement du naturel ! je ne veux que des traitements bio » et qu’il n’existe pas d’alternative à l’aliette (molécule chimique, pas bio du tout), même le purin de mouron pour les petits oiseaux est inopérant…
Il ne reste plus qu’à lui conseiller de porter son citronnier à l’incinérateur. Pour éviter la contagion.

Personnellement, j’évite, chaque fois que je le peux, de recourir aux « molécules ».

Sauf quand c’est nécessaire. Il faut savoir ce que l’on veut.

Si l’on est adepte du libéralisme mondialiste intégriste et de la libre concurrence, il faut accepter de laisser fermer l’usine non compétitive.
Si l’on est Hulotien fondamentaliste (ce qui finalement revient au même que libéral forcené), il faut savoir, là aussi, renoncer à toute forme d’interventionnisme.
Et laisser crever le citronnier.

Pour que vivent, dans une sainte concurrence, des spores de phytophtora libres sur des agrumes libres.

Les potagers en carré.

Impossible d’ouvrir un magazine ou un site de jardinage sans buter sur le sempiternel reportage branché : Les potagers en carré.

Certains, qui ont tendance à confondre l’histoire du moyen-âge et les monologues de Pierre Dac, n’hésitent pas à assurer de façon péremptoire que cette mode est une résurgence des carrés de simples des herbariums des monastères bénédictins.
En fait, elle nous vient d’Amérique, tout comme le phyloxéra, le coca-cola, la phytolacca et la mondialisation triomphante. La paternité en revient à un certain Bartholomew, assurément meilleur promoteur de design que jardinier. Il en a fait sa bible. Et s’est attelé à évangéliser la planète. Sans avoir recours à des missionnaires style Témoins de Jehovah. Plus simple de se mettre les médias dans la poche..

La contagion est fulgurante. Surtout chez les néo jardiniers.

Ils débarquent de la ville, forts de leur expérience de deux pots de pélargoniums sur le balcon de leur précédent appartement et de la lecture pieuse du Net et/ou du supplément jardin de Madame Figaro. Ils abordent ainsi, sûr d’eux, l’agriculture moderne, écologique, et salvatrice de la Planète. Regardant avec réprobation les pratiques périmées des jardiniers locaux. Leur première – et quasi unique –  préoccupation, avant de créer leur potager, n’est pas de se renseigner sur les maxima et minima du climat local, ni sur le pH du sol ou sa structure. Non, c’est de connaître les fournisseurs locaux de bois pour construire leurs lignes Maginot potagères .

Il nous en est débarqué un couple, récemment. Un musicien et une designer. Pour s’installer en télé-travail. Très Hulotiens bling-bling… Comme j’ai, dans mon coin perdu, une vague petite réputation (très surfaite) de jardinier, ils sont venus me consulter…
Je tiens beaucoup à la correction de mes écrits : mon expression orale est beaucoup plus relâchée. Je ne retranscris donc pas le contenu intégral de la réponse que je leur ai donnée.
Mais elle a solidement contribué à renforcer mon surnom de bourru.

Car, si c’est une sage précaution, dans ma Normandie natale, de surélever sa planche d’échalotes pour bien drainer le sol et éviter qu’elles ne pourrissent, en revanche, dans mon  coin d’adoption où l’on peut rester six mois d’affilée sans voir une goutte de pluie (et où le sol sableux s’assèche complètement en deux jours de mistral) planter ses salades à un mètre au dessus du sol initial tient du masochisme absolu.
Chez nous, on aurait sans doute plus d’enseignements à tirer des traditions de culture en fosses inondables des jardiniers arabo-andalous de Grenade que des élucubrations de gourous californiens dans le vent…

Nos deux jeunes catéchumènes ont donc construit leurs îlots, bien orthogonaux (peut-être, avaient-ils la nostalgie de l’ordonnancement rigoureux des immeubles de leurs quartiers d’origine ?).  Ils n’ont rien récolté, malgré des arrosages répétés ?  Qu’importe, ils sont sûrs d’avoir raison, contre les locaux attardés et leurs traditions dépassées..

Vivent les carrés ! C’est branché, les carrés..
Je leur avais pourtant suggéré d’essayer les triangles équilatéraux, plus mystiques.

Ils ont refusé… Trop maçonniques, ont-ils dû penser..

Être dans le vent? Une ambition de feuille morte, disait Jean Duché..

Complainte amoureuse

Complainte amoureuse

Alphonse Allais (1854 – 1905)

Oui, dès l’instant où je vous vis,
Beauté féroce, vous me plûtes;
De l’amour qu’en vos yeux je pris,
Sur-le-champ vous vous aperçûtes.
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Combien de soupirs je rendis !
De quelle cruauté vous fûtes !
Et quel profond dédain vous eûtes
Pour les vœux que je vous offris !
En vain, je priai, je gémis,
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis;
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes
Et je ne sais comment vous pûtes,
De sang-froid voir ce que je mis.
Ah! fallait-il que je vous visse
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu’ingénument je vous le disse
Qu’avec orgueil vous vous tussiez ;
Fallait-il que je vous aimasse
Que vous me désespérassiez
Et qu’en vain je m’opiniâtrasse
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m’assassinassiez !

Le Mot et la Chose

Abbé de l’Atteignant. (1697 – 1779)

Madame, quel est votre mot
Et sur le mot et sur la chose?
On vous a dit souvent le mot,
On vous a fait souvent la chose.
Aussi de la chose et du mot,
Devez-vous savoir quelque chose;
Mais je parierais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose!

Pour moi, voici quel est mon mot
et sur le mot et sur la chose.
J’avouerai que j’aime le mot,
J’avouerai que j’aime la chose.
Autrement, la chose et le mot
Seraient pour moi bien peu de chose.
Mais je crois en faveur du mot
Pouvoir ajouter quelque chose.

Une chose qui donne au mot
Tout l’avantage sur la chose:
C’est qu’on peut dire encore le mot
quand même on ne fait plus la chose!
Et si peu que vaille le mot,
Ma foi, c’est encore quelque chose.
De là, je conclus que le mot
Doit être mis avant la chose.

Qu’il ne faut ajouter au mot
Qu’autant que l’on peut quelque chose
Et que pour le temps où le mot
Se présentera sans la chose,
Il faut se réserver le mot
Pour se consoler de la chose!
Pour vous, je crois qu’avec le mot,
Vous voyez toujours autre chose.

Vous dites si gaiment le mot,
Pour mériter si bien la chose
Près de vous, la chose et le mot
doivent être une même chose.
Et vous n’avez pas dit le mot
qu’on est déjà prêt à la chose!
Mais quand je vous dis que le mot
Me plaît beaucoup moins que la chose.

Vous devez me croire à ce mot
Bien peu connaisseur en la chose.
Eh bien, voici mon dernier mot
et sur le mot et sur la chose:
Madame, passez-moi le mot,
et je vous passerai la chose!

LA FIN

LA FIN

Tristan Corbière (1845 – 1875)

 

Eh bien, tous ces marins – matelots, capitaines,
Dans leur grand Océan à jamais engloutis…
Partis insoucieux pour leurs courses lointaines
Sont morts – absolument comme ils étaient partis.

Allons! c’est leur métier : ils sont morts dans leurs bottes !
Leur boujaron au cœur, tout vifs dans leurs capotes…
Morts… Merci : la Camarde n’a pas le pied marin ;
Qu’elle couche avec vous : c’est votre bonne femme…
Eux, allons donc : Entiers! Enlevés par la lame
Ou perdus dans un grain…

Un grain… Est-ce la mort, ça ? La basse voilure
Battant à travers l’eau ! – Ça se dit encombrer…
Un coup de mer plombé, puis la haute mâture
Fouettant les flots ras – et ça se dit sombrer.

Sombrer ! Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle
Et pas grand’chose à bord, sous la lourde rafale…
Pas grand’chose devant le grand sourire amer
Du matelot qui lutte. Allons donc, de la place !
Vieux fantôme éventé, la Mort change de face :
La Mer !

Noyés ? – Eh allons donc ! Les noyés sont d’eau douce.
Coulés ! Corps et biens ! Et jusqu’au petit mousse,
Le défi dans les yeux, dans les dents le juron !
À l’écume crachant une chique râlée,
Buvant sans hauts-de-coeur la grand’tasse salée…
Comme ils ont bu leur boujaron. –

Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière :
Eux ils vont aux requins ! L’âme d’un matelot
Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,
Respire à chaque flot.

Voyez à l’horizon se soulever la houle ;
On dirait le ventre amoureux
D’une fille de joie en rut, à moitié soûle…
Ils sont là ! La houle a du creux.

Écoutez, écoutez la tourmente qui meugle !
– C’est leur anniversaire – Il revient bien souvent –
Ô poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle ;
Eux : le De Profundis que leur corne le vent.

Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges !
Qu’ils roulent verts et nus,
Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges…
Laissez-les donc rouler, terriens parvenus !

Le doigt de Dieu

Georges Fourest (1867-1945)

Il avait violé sa sœur, coupé sa mère
En tout petits morceaux : jugeant la vie amère
Et se voulant donner quelque distraction,
Il servit à son père une décoction
Du foie et des reins ennemis
(Car il avait beaucoup potassé la chimie) :
Cette mixture fit mourir le doux vieillard

Il était mal poli, journaliste, paillard,
Trichait au jeu, faisait des vers, fumait la pipe
Dans la rue et, le soir, il se gavait de tripes
A la mode de Caen parmi des croque-morts.
D’ailleurs, il n’éprouvait pas l’ombre d’un remord
Et vivait très correct et très digne et coulait
De bien beaux jours (comme le fait M. Paul Déroulède).

Mais Dieu possède un doigt et l’immoralité
Ne saurait échapper à la fatalité.

Un matin, comme il avait fait la grande fête,
Un pot de réséda lui tomba sur la tête
Et le Seigneur l’admit au paradis profond,
Car il était plus vif que méchant, dans le fond !

Chimène

Chimène

Georges Fourest  (1867 – 1945)

Le palais de Gormaz, comte et gobernador,
Est en deuil : Pour jamais dort couché sous la pierre
L’hidalgo dont le sang a rougi la rapière
De Rodrigue appelé le Cid Campeador.

Le soir tombe. Invoquant les deux saints Paul et Pierre
Chimène, en voiles noirs, s’accoude au mirador
Et ses yeux dont les pleurs ont brûlé la paupière
Regardent, sans rien voir, mourir le soleil d’or…

Mais un éclair, soudain, fulgure en sa prunelle :
Sur la plaza Rodrigue est debout devant elle !
Impassible et hautain, drapé dans sa capa,

Le héros meurtrier à pas lents se promène :
«Dieu !» soupire à part soi la plaintive Chimène,
«Qu’il est joli garçon l’assassin de Papa !»

Le Hareng Saur

Le Hareng Saur

Charles Cros (1842-1888)

Il était un grand mur blanc – nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle – haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur – sec, sec, sec.

Il vient, tenant dans ses mains – sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou – pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle – gros, gros, gros.

Alors il monte à l’échelle – haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu – toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur blanc – nu, nu, nu.

Il laisse aller le marteau – qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle – longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur – sec, sec, sec.

Il redescend de l’échelle – haute, haute, haute,
L’emporte avec le marteau – lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s’en va ailleurs – loin, loin, loin.

Et, depuis, le hareng saur – sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle – longue, longue, longue,
Très lentement se balance – toujours, toujours, toujours.

J’ai composé cette histoire – simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens – graves, graves, graves,
Et amuser les enfants – petits, petits, petits.