Tombé du ciel

Tombé du ciel

Jacques Higelin

 

 

Tombé du ciel à travers les nuages
Quel heureux présage pour un aiguilleur du ciel
Tombé du lit fauché en plein rêve
Frappé par le glaive de la sonnerie du réveil
Tombé dans l’oreille d’un sourd
Qui venait de tomber en amour la veille
D’une hôtesse de l’air fidèle
Tombée du haut d’la passerelle
Dans les bras d’un bagagiste un peu volage
Ancien tueur à gages
Comment peut-on tomber plus mal

Tombé du ciel rebelle aux louanges
Chassé par les anges du paradis originel
Tombé d’sommeil perdu connaissance
Retombé en enfance au pied du grand sapin de Noël
Voilé de mystère sous mon regard ébloui
Par la naissance d’une étoile dans le désert
Tombé comme un météore dans les poches de Balthazar
Gaspard Melchior les trois fameux rois mages
Trafiquants d’import export

Tombé d’en haut comme les petites gouttes d’eau
Que j’entends tomber dehors par la f’nêtre
Quand je m’endors le coeur en fête
Poseur de girouettes
Du haut du clocher donne à ma voix
La direction par où le vent fredonne ma chanson

Tombé sur un jour de chance
Tombé à la fleur de l’âge dans l’oubli

C’est fou c’qu’on peut voir tomber
Quand on traîne sur le pavé les yeux en l’air
La semelle battant la poussière
On voit tomber des balcons
Des mégots, des pots d’fleurs
Des chanteurs de charme
Des jeunes filles en larmes
Et des alpinistes amateurs

Tombés d’en haut comme les petites gouttes d’eau
Que j’entends tomber dehors par la f’nêtre
Quand je m’endors le cœur en fête
Poseur de girouettes
Du haut du clocher donne à ma voix
La direction par où le vent fredonne ma chanson

Tombé sur un jour de chance
Tombé par inadvertance amoureux
Tombé à terre pour la fille qu’on aime
Se relever indemne et retomber amoureux
Tombé sur soi, tombé en pâmoison
Avalé la ciguë goûté le poison qui tue

L’amour, l’amour encore et toujours

Louise

Louise

Gérard Berliner

Mais qui a soulagé sa peine
Porté son bois porté les seaux
Offert une écharpe de laine
Le jour de la foire aux chevaux

Et qui a pris soin de son âme
Et l’a bercée dedans son lit
Qui l’a traitée comme une femme
Au moins une fois dans sa vie

Le bois que portait Louise
C’est le Bon Dieu qui le portait
Le froid dont souffrait Louise
C’est le Bon Dieu qui le souffrait

C’n’était qu’un homme des équipes
Du chantier des chemins de fer
À l’heure laissée aux domestiques
Elle le rejoignait près des barrières

Me voudras-tu moi qui sais coudre
Signer mon nom et puis compter,
L’homme à sa taille sur la route
Passait son bras, la promenait

L’amour qui tenait Louise
C’est le Bon Dieu qui le tenait
Le regard bleu sur Louise
C’est le Bon Dieu qui l’éclairait

Ils sont partis vaille que vaille
Mourir quatre ans dans les tranchées.
Et l’on raconte leurs batailles
Dans le salon après le thé

Les lettres qu’attendait Louise
C’est le Bon Dieu qui les portait
La guerre qui séparait Louise
C’est le Bon Dieu qui la voyait

Un soir d’hiver sous la charpente
Dans son lit cage elle a tué
L’amour tout au fond de son ventre
Par une aiguille à tricoter

Si je vous garde Louise en place
C’est en cuisine pas devant moi
Ma fille prie très fort pour que s’efface
Ce que l’curé m’a appris là

Et la honte que cachait Louise
C’est le Bon Dieu qui l’a cachée
Le soldat qu’attendait Louise
C’est le Bon Dieu qui l’a vu tomber

Y a cinquante ans c’était en France
Dans un village de l’Allier
On n’accordait pas d’importance
A une servante sans fiancé

Le deuil qu’a porté Louise
C’est le Bon Dieu qui l’a porté
La vie qu’a travaillé Louise
C’est le Bon Dieu qui l’a aidée

https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=55qf3GOOCmM

L‘âme des poètes

L‘âme des poètes

Charles Trénet

 

https://www.youtube.com/watch?v=6cDnV5c7Y3s

 

Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
La foule les chante un peu distraite
En ignorant le nom de l’auteur
Sans savoir pour qui battait leur cœur
Parfois on change un mot, une phrase
Et quand on est à court d’idées
On fait la la la la la la
La la la la la la

Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
Un jour, peut-être, bien après moi
Un jour on chantera
Cet air pour bercer un chagrin


Ou quelque heureux destin
Fera-t-il vivre un vieux mendiant
Ou dormir un enfant
Ou, quelque part au bord de l’eau
Au printemps tournera-t-il sur un phono

Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leur âme légère court encore dans les rues

Leur âme légère, c’est leurs chansons
Qui rendent gais, qui rendent tristes
Filles et garçons
Bourgeois, artistes
Ou vagabonds.

Longtemps, longtemps, longtemps
La la la…

A la Manicouagan

La Manic
Georges Dor

Si tu savais comme on s’ennuie
A la Manic
Tu m’écrirais bien plus souvent
A la Manicouagan
Parfois je pense à toi si fort
Je recrée ton âme et ton corps
Je te regarde et m’émerveille
Je me prolonge en toi
Comme le fleuve dans la mer
Et la fleur dans l’abeille

Que deviennent quand j’suis pas là
Mon bel amour
Ton front doux comme fine soie
Et tes yeux de velours
Te tournes-tu vers la côte nord
Pour voir un peu, pour voir encore
Ma main qui te fait signe d’attendre
Soir et matin je tends les bras
Je te rejoins où que tu sois
Et je te garde

Dis-moi c’qui s’passe à Trois-Rivières
Et à Québec
Là où la vie a tant à faire
Et tout c’qu’on fait avec
Dis-moi c’qui s’passe à Montréal
Dans les rues sales et transversales
Où tu es toujours la plus belle
Car la laideur ne t’atteint pas
Toi que j’aimerai jusqu’au trépas
Mon éternelle

Nous autres on fait les fanfarons
A cœur de jour
Mais on est tous des bons larrons
Cloués à leurs amours
Y’en a qui jouent de la guitare
D’autres qui jouent d’l’accordéon
Pour passer l’temps quand c’est trop long
Mais moi, je joue de mes amours
Et je danse en disant ton nom
Tellement je t’aime

Si tu savais comme on s’ennuie
A la Manic
Tu m’écrirais bien plus souvent
A la Manicouagan
Si t’as pas grand-chose à me dire
Ecris cent fois les mots « Je t’aime »
Ça fera le plus beau des poèmes
Je le lirai cent fois
Cent fois cent fois c’est pas beaucoup
Pour ceux qui s’aiment

Si tu savais comme on s’ennuie
A la Manic
Tu m’écrirais bien plus souvent
A la Manicouagan

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=XNPJaKMIufI

Après l’amour

Louis Aragon

Après l’amour

 

https://www.youtube.com/watch?v=LH5qSdkpEOE

 

 

Je me souviens de cette ville
Dont les paupières étaient bleues
Où jamais les automobiles
Ne s’arrêtent que quand il pleut

Une lessive jaune et rose
Y balançait au bord du ciel
Où passaient des canards moroses
Avec un ventre couleur miel

On y a des manières d’être
Qu’ailleurs on ne voit pas souvent
Juste s’entrouvre une fenêtre
Qu’un rideau blanc s’envole au vent

Toutes les filles le dimanche
S’en vont flâner au bord de l’eau
Elles se gardent les mains blanches
Pour attirer les matelots

Le plus souvent marins d’eau douce
Rencontrés sous les peupliers
On voit qu’ils ne sont plus des mousses
Comme ils dénouent les tabliers

Tout est vraiment sans importance
Un jour ou l’autre on se marie
Les charpentiers dans l’existence
Épousent la Vierge Marie

Les hommes facilement chantent
Et jurent plus facilement
Quand leurs femmes se font méchantes
Ils leur procurent des amants

Le conjoint rentre sur le tard
Avec une haleine d’anis
L’épouse élève ses bâtards
Et leurs héritiers réunis

C’était peu après l’autre guerre
Les morts aiment qu’on parle d’eux
Or les vivants n’y pensaient guère
Ils dormaient déjà deux par deux

La vie avait fait ses vendanges
Il faut laisser poser le vin
Nous n’avions pas tous un cœur d’ange
Dans les vignes des années vingt

J’étais plus fou que raisonnable
Elle ou moi qui donc s’en alla
Mais sait-on bien pourquoi le sable
Retombe ici plutôt que là

J arrivai par un soir de fête
Les enfants portaient des flambeaux
Tous les vieux jouaient les prophètes
Tous les jeunes gens semblaient beaux

Sous les pieds partaient des amorces
On promenait un Saint doré
Ce qui tournait au tour de force
Dans les ombres démesurées

On avait cueilli les lavandes
Gela se sentait à plein nez
Aux mains furtives qui se tendent
Comme aux paniers abandonnés

J’avais ma peine et ma valise
Et celle qui m’avait blessé
Riait-elle encore à Venise
Moi j’étais déjà son passé

Le pays me plut comme plaisent
Les gares que l’on voit du train
Mon adresse y fut Chez Thérèse
Treize Place des Tambourins

Sous les platanes de la place
Il se contait mille folies
Rêver seul à la fin vous lasse
Ne rien faire ensemble vous lie

J’adore le bruit des fontaines
La pierre humide où l’on s’assoit
Adieu ma princesse lointaine
Ici bavarder va de soi

Il existe près des écluses
Un bas-quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s’use
À démêler le tien du mien

En bande on s’y rend en voiture
Ordinairement au mois d’août
Ils disent la bonne aventure
Pour des piments et du vin doux

On passe la nuit claire à boire
On danse en frappant dans ses mains
On n’a pas le temps de le croire
Qu’il fait grand jour et c’est demain

On revient d’une seule traite
Gais sans un sou vaguement gris
Avec des fleurs plein les charrettes
Son destin dans la paume écrit

J’ai dilapidé trois semaines
Parmi ces gens insouciants
Leur cachant ma plaie inhumaine
Et mes songes humiliants

Un jour sous les arbres du fleuve
Pourquoi s’était-elle arrêtée
Fallait-il, fallait-il qu’il pleuve
Comme il peut pleuvoir en été

J’ai pris la main d’une éphémère
Qui m’a suivi dans ma maison
Elle avait les yeux d’outre-mer
Elle en montrait la déraison

Elle avait la marche légère
Et de longues jambes de faon
J’aimais déjà les étrangères
Quand j’étais un petit enfant

Les choses sont simples pour elles
Elles touchent ce qu’elles voient
Leur miracle m’est naturel
Comme descendre à contre-voie

Ces femmes d’ailleurs ont des gestes
Qui supposent d’autres plafonds
Et des terrasses où l’on reste
Sans fin devant des cieux profonds

Un air en court dans leur mémoire
Contredire au plaisir qu’on prend
Et dans la glace de l’armoire
Renaît un monde différent

Terrains brûlés lentes rivières
Où les vapeurs portent là-bas
Par une école buissonnière
La canne à sucre et le tabac

Ou bien ce sont d’autres escales
Dans le goudron des ports brumeux
Sous les aurores boréales
Un bateau à aube se meut

L’une dit les eaux transparentes
Les plongeurs pourpres les coraux
L’autre les barques de Sorrente
L’autre le sang roux des taureaux

Celle-ci parla vite vite
De l’odeur des magnolias
Sa robe tomba tout de suite
Quand ma hâte la délia

En ce temps-là j’étais crédule
Un mot m’était promission
Et je prenais les campanules
Pour les Fleurs de la Passion

Tant pis l’autre encore que j’aime
Qui tient son peignoir au Lido
Et quelle main comme un blasphème
Sur sa chambre tire un rideau

Ô vagues de l’Adriatique
Dont le flux dort dans le reflux
Vous vos îles et vos moustiques
Je ne vous verrai jamais plus

Pour une femme mille et une
La chanson finit qu’on chanta
Et s’égarent par les lagunes
Le Doge et la Malcontenta

Dans mes bras les belles soient reines
L’avenir les couronnera
Voici ma nouvelle sirène
Toute la mer est dans mes bras

A chaque fois tout recommence
Toute musique me saisit
Et la plus banale romance
M’est l’éternelle poésie

L’une s’en vient l’autre s’envole
Quatre murs un roman défunt
J’ai perdu son nom ma parole
Que m’en demeure le parfum

Nous avions joué de notre âme
Un long jour une courte nuit
Puis au matin bonsoir Madame
L’amour s’achève avec la pluie

J’ai vu s’enfuir l’automobile
À travers les paupières bleues
Car le bonheur dans cette ville
N’habite que le temps qu’il pleut.

Madame à Minuit

Madame à Minuit

Luc Bérimont (Musique de Léo Ferré)
Madame à minuit, croyez vous qu’on veille ?
Madame à minuit, croyez -vous qu’on rit ?
Le vent de l’hiver me corne aux oreilles,
Terre de Noël, si blanche et pareille,
Si pauvre, si vieille, et si dure aussi.

Au fond de la nuit, les fermes sommeillent,
Cadenas tirés sur la fleur du vin,
Mais la fleur du feu y fermente et veille
Comme le soleil au creux des moulins.
Comme le soleil au creux des moulins.

Aux ruisseaux gelés la pierre est à fendre
Par temps de froidure, il n’est plus de fous,
L’heure de minuit, cette heure où l’on chante
Piquera mon coeur bien mieux que le houx.
Piquera mon coeur bien mieux que le houx.

J’avais des amours, des amis sans nombre
Des rires tressés au ciel de l’été,
Lors, me voici seul, tisonnant des ombres
Le charroi d’hiver a tout emporté,
Le charroi d’hiver a tout emporté.

Pourquoi ce Noël, pourquoi ces lumières,
Il n’est rien venu d’autre que les pleurs,
Je ne mordrai plus dans l’orange amère
Et ton souvenir m’arrache le coeur.
Et ton souvenir m’arrache le coeur.

Madame à minuit, croyez-vous qu’on veille ?
Madame à minuit, croyez-vous qu’on rit ?
Le vent de l’hiver me corne aux oreilles,
Terre de Noël, si blanche et pareille,
Si pauvre, si vieille, et si dure aussi.

Dis, quand reviendras-tu ?

Dis, quand reviendras-tu ?

Barbara

https://www.youtube.com/watch?v=nUE80DTNxK4&list=PL73E0DCAFC76AD5E5&index=22

Voilà combien de jours, voilà combien de nuits,
Voilà combien de temps que tu es reparti,
Tu m´as dit cette fois, c´est le dernier voyage,
Pour nos cœurs déchirés, c´est le dernier naufrage,
Au printemps, tu verras, je serai de retour,
Le printemps, c´est joli pour se parler d´amour,
Nous irons voir ensemble les jardins refleuris,
Et déambulerons dans les rues de Paris,

Dis, quand reviendras-tu,
Dis, au moins le sais-tu,
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus,

Le printemps s´est enfui depuis longtemps déjà,
Craquent les feuilles mortes, brûlent les feux de bois,
A voir Paris si beau dans cette fin d´automne,
Soudain je m´alanguis, je rêve, je frissonne,
Je tangue, je chavire, et comme la rengaine,
Je vais, je viens, je vire, je me tourne, je me traîne,
Ton image me hante, je te parle tout bas,
Et j´ai le mal d´amour, et j´ai le mal de toi,

Dis, quand reviendras-tu,
Dis, au moins le sais-tu,
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus,

J´ai beau t´aimer encore, j´ai beau t´aimer toujours,
J´ai beau n´aimer que toi, j´ai beau t´aimer d´amour,
Si tu ne comprends pas qu´il te faut revenir,
Je ferai de nous deux mes plus beaux souvenirs,
Je reprendrai la route, le monde m´émerveille,
J´irai me réchauffer à un autre soleil,
Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin,
Je n´ai pas la vertu des femmes de marins,

Dis, quand reviendras-tu,
Dis, au moins le sais-tu,
Que tout le temps qui passe,
Ne se rattrape guère,
Que tout le temps perdu,
Ne se rattrape plus…

Je reviens chez nous

Je reviens chez nous

Jean Pierre Ferland

 

https://www.youtube.com/watch?v=1DjPw9GGwlw

Il a neigé à Port-au-Prince
Il pleut encore à Chamonix
On traverse à gué la Garonne
Le ciel est plein bleu à Paris

Ma mie l’hiver est à l’envers
Ne t’en retourne pas dehors
Le monde est en chamaille
On gèle au sud, on sue au nord
Fais du feu dans la cheminée
Je reviens chez-nous
S’il fait du soleil à Paris
Il en fait partout

La Seine a repris ses vingt berges
Malgré les lourdes giboulées
Si j’ai du frimas sur les lèvres
C’est que je veille à ses côtés

Ma mie j’ai le cœur à l’envers
Le temps ravive le cerfeuil
Je ne veux pas être tout seul
Quand l’hiver tournera de

Je rapporte avec mes bagages
Un goût qui m’était étranger
Moitié dompté, moitié sauvage
C’est l’amour de mon potager

Fais du feu dans la cheminée
Je rentre chez moi
Et si l’hiver est trop buté
On hibernera.

L’Assassinat

l’assassinat

Brassens

 

 

C’est pas seulement à Paris
Que le crime fleurit,
Nous, au village, aussi, l’on a
De beaux assassinats.
Il avait la tête chenu’
Et le coeur ingénu,
Il eut un retour de printemps
Pour une de vingt ans.
Mais la chair fraîch’, la tendre chair,
Mon vieux, ça coûte cher.
Au bout de cinq à six baisers,
Son or fut épuisé.
Quand sa menotte elle a tendu’,
Triste, il a répondu
Qu’il était pauvre comme Job.
Elle a remis sa rob’.
Elle alla quérir son coquin
Qui avait l’appât du gain.
Sont revenus chez le grigou
Faire un bien mauvais coup.
Et pendant qu’il le lui tenait,
Elle l’assassinait.


On dit que, quand il expira,
La langue ell’ lui montra.
Mirent tout sens dessus dessous,
Trouvèrent pas un sou,
Mais des lettres de créanciers,
Mais des saisi’s d’huissiers.
Alors, prise d’un vrai remords,
Elle eut chagrin du mort
Et, sur lui, tombant à genoux,
Ell’ dit : « Pardonne-nous ! »
Quand les gendarm’s sont arrivés,
En pleurs ils l’ont trouvé’.
C’est une larme au fond des yeux
Qui lui valut les cieux.
Et le matin qu’on la pendit,
Ell’ fut en paradis.
Certains dévots, depuis ce temps
Sont un peu mécontents.
C’est pas seulement à Paris
Que le crime fleurit,
Nous, au village, aussi, l’on a
De beaux assassinats.

La chanson de Margaret

La chanson de Margaret

Pierre Mac Orlan


C’est rue de la Crique que j’ai fait mes classes
Au Havre dans un star tenu par Chloé
C’est à Tampico au fond d’une impasse
J’ai trouvé un sens à ma destinée
On dit que l’argent c’est bien inodore
Le pétrole est là pour vous démentir
Car à Tampico quand ça s’évapore
Le passé revient qui vous fait vomir
Oui j’ai laissé là mes joues innocentes
Oui à Tampico je me suis défleurie
Je n’étais alors qu’une adolescente
Beaucoup trop sensible à des tas d’profits
Les combinaisons ne sont pas toujours bonnes
Comme une vraie souris j’ai fait des dollars
Dans ce sale pays où l’air empoisonne
La marijuana vous fout le cafard.

On m’encourageait j’en voyais de drôles
Je vidais mon verre en fermant les yeux
Quand j’avais fait le plein j’voyais le pactole
Et les connaisseurs trouvaient ça curieux
Une fille de vingt ans, c’est pour la romance
Et mes agréments semblaient éternels
Mais par-ci par-là quelques dissonances
M’en ont mis un coup dans mon arc-en-ciel
C’est là que j’ai laissé derrière les bouteilles
Le très petit lot de mes petites vertus
Un damné matelot qui n’aimait que l’oseille
M’en a tant fait voir que je me reconnais plus
Oui, il m’a fait voir le ciel du Mexique
Et m’a balancée par un beau printemps
Parmi les cactus, dans le décor classique
Où le soleil vous tue comme à bout portant.

Un cock shangaïé, un soir de folie
A pris mon avenir comme un beau cadeau
Il m’a dit « petite, il faut qu’on se marie
Tu seras la fleur d’un joli bistrot
De tels boniments démolissent une femme
Je vivais déjà derrière mon comptoir
Les flics de couleur me disaient « Madame »
Bref, je gambergeais du matin au soir
Mon Dieu ramenez moi dans ma belle enfance
Quartier Saint François, au bassin du roi.
Mon Dieu rendez-moi un peu d’innocence
Et l’odeur des quais quand il faisait froid
Faites moi revoir les neiges exquises
La pluie sur Sanvic qui luit sur les toits
La ronde des gosses autour de l’église
Mon premier baiser sur les chevaux de bois.