De Blaise Petitveau,
alias Edouard Osmont (1874-1922)
Elle avait le nombril en forme de cinq
Et n’en était d’ailleurs pas plus fière pour ça.
On la voyait tous les matins
Tuer le ver avec les copains
Sur le zinc,
Ainsi que vous et moi, sans faire d’embarras.
Et nul, en la voyant, simple, lever son verre,
N’aurait pu se douter que l’accorte commère
Avait le nombril en forme de cinq.
Ah! qui vous chantera, fleurs mystiques, écloses
Parmi les chairs nacrées aux ivoires troublants ?
Quel poète dira, nombrils, nénuphars roses,
Le nonchaloir exquis qui mollement vous pose
Sur le lac pur des ventres blancs ?
Elle avait le nombril en forme de cinq.
Une autre aurait fait des manières,
Une autre aurait fait des chichis,
Aurait cherché, à s’exhiber aux Folies-Bergère
Ou bien encore au Casino de Paris.
Elle ? Pas du tout. Et quand, en souriant,
Un ami lui disait: » Fait donc voir ton nombril ? «
Elle se dégrafait sans se faire de bile
Et montrait son nombril
Ainsi que vous et moi, très simplement !
Elle était si douce et simple !
Quel poète dira l’ironie décevante
De cet œil goguenard que Dieu nous mit au ventre,
Comme les architectes dans les maisons
Mettent une rosace au plafond ?
Elle avait le nombril en forme de cinq.
Une autre aurait affiché la prétention
D’être le clou tant cherché d’une exposition.
Elle ? Pas du tout. Elle allait aux expositions sans pose,
Avec son petit chapeau de paille noire à rubans roses.
Son nombril ne lui faisait pas du tout tourner la boule,
Et si dans les flots pressés de la foule,
Quelque vieux marcheur lui pinçait les fesses
(elle est si débauchée, au jour d’aujourd’hui, la jeunesse),
Elle préférait se laisser faire sans rien dire,
Ainsi que vous et moi, se contentant d’en rire,
Je dois même ajouter qu’elle y prenait plaisir.
Elle était si douce et si simple !
Une autre serait morte d’une façon tragique,
Aurait cherché quelque suicide dramatique,
Histoire de défrayer longuement la chronique.
Elle ? Pas du tout. Elle mourut dans son lit
Ainsi que vous et moi, munie,
(Faut-il pas qu’en fidèle historien je le dise)
Munie des sacrements de l’Église.
Quel poète dira vos formes tant diverses,
Nombrils ? Nombrils corrects, nombrils à la renverse,
Nombrils en long des faméliques,
Nombrils en large des grosses dames apoplectiques,
Nombrils en porte cochère
Comme en ont trop souvent les accortes bouchères,
Nombrils troublants des folles filles de l’Espagne,
Nombrils gras et béats des curés de campagne,
Nombrils effarés des timides épouses,
Nombrils des gros rentiers, larges comme des bouses,
Nombrils rusés, nombrils malins
Qui avez l’œil américain ;
Nombrils, moulés ainsi que de petites crottes,
Qui parez l’abdomen des vierges Hottentotes ;
Nombrils mi-clos, nombrils entrebâillés
(Il faut pourtant qu’une porte soit ouverte ou fermée),
Nombrils en ronds, nombrils en boule,
Nombrils gros comme des ampoules,
Et vous, nombrils en cul-de-poule !
En l’avril d’un babil puéril et subtil,
Ah ! qui vous chantera, nombrils ?
Elle avait le nombril en forme de cinq.
Une autre aurait désiré qu’on la mit en terre
Avec le concours d’un de ces messieurs du ministère,
Qu’il y eut des discours, des musiques.
Elle ? Pas du tout. Ce fut simple et banal.
Il n’y eut même pas un conseiller municipal,
Mais deux ou trois amis, quelques parents et l’ecclésiastique.
Et, quand le tabellion ouvrit son testament,
Il lut ces quelques mots profondément touchants :
» Je, soussignée, désire et veux que mon nombril
Serve de numéro à quelque automobile «
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