Author Archives: bourru

Poste restante

Poste restante

Guy Béart

https://www.youtube.com/watch?v=CepAkgrHvOc

 

On s´écrivait de tendres choses
Des mots pervers mais innocents
Et rouges comme notre sang
De les redire ici je n´ose

J´ai tenté de brûler ces pages
Rien à faire et je les relis
Tes arrondis les yeux remplis
De ces courbes à ton image

On s´écrivait poste restante
Au rendez-vous des apprentis
Au rendez-vous des sans-logis
Que sont les amours débutantes

Quand tu me griffais de ta plume
Je restais tout pale interdit
Sous ta griffe encore aujourd´hui
Ma fièvre ancienne se rallume

Depuis lors sous d´autres couleurs
J´ai battu je me suis fait battre
Ta guerre seule est opiniâtre
Tu m´avais fait battre le cœur

Un jour ma lettre me revint
Tu n´allais plus jusqu´à la poste
Tu avais déserté le poste
Et mes lettres partaient en vain

Et revenaient me prendre ailleurs
Ici là je changeais d´adresse
Et m´atteignaient dans ma détresse
Tous ces « retours à l´envoyeur »

Que monte une flamme nouvelle
Sur cette cendre désormais
Si tu vois combien je t´aimais
Entre tes lignes se révèle

Ce qu´hier je n´ai pas su lire
Il faut du temps pour faire un cœur
N´as-tu pas détruit par rancœur
Ce qu´hier je n´ai pas su dire..

La Montagne

La Montagne
Jean Ferrat

Ils quittent un à un le pays
Pour s’en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné
Les vieux ça n’était pas original
Quand ils s’essuyaient machinal
D’un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tirer la caille ou le perdreau
Et cailler la tomme de chèvre


Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ?


Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu’au sommet de la colline
Qu’importent les jours les années
Ils avaient tous l’âme bien née
Noueuse comme un pied de vigne
Les vignes elles courent dans la forêt
Le vin ne sera plus tiré
C’était une horrible piquette
Mais il faisait des centenaires
A ne plus que savoir en faire
S’il ne vous tournait pas la tête

Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ?

Deux chèvres et puis quelques moutons
Une année bonne et l’autre non
Et sans vacances et sans sorties
Les filles veulent aller au bal
Il n’y a rien de plus normal
Que de vouloir vivre sa vie
Leur vie ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s’en faire
Que l’heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l’on aime
Et rentrer dans son H.L.M.
Manger du poulet aux hormones

Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ?

Le Dernier Repas

Le Dernier Repas

Jacques Brel

https://www.youtube.com/watch?v=4dfDCMLnQqA

 

A mon dernier repas
Je veux voir mes frères
Et mes chiens et mes chats
Et le bord de la mer
A mon dernier repas
Je veux voir mes voisins
Et puis quelques Chinois
En guise de cousins
Et je veux qu’on y boive
En plus du vin de messe
De ce vin si joli
Qu’on buvait en Arbois
Je veux qu’on y dévore
Après quelques soutanes
Une poule faisane
Venue du Périgord
Puis je veux qu’on m’emmène
En haut de ma colline
Voir les arbres dormir
En refermant leurs bras
Et puis je veux encore
Lancer des pierres au ciel
En criant Dieu est mort
Une dernière fois

A mon dernier repas
Je veux voir mon âne
Mes poules et mes oies
Mes vaches et mes femmes
A mon dernier repas
Je veux voir ces drôlesses
Dont je fus maître et roi
Ou qui furent mes maîtresses
Quand j’aurai dans la panse
De quoi noyer la terre
Je briserai mon verre
Pour faire le silence
Et chanterai à tue-tête
A la mort qui s’avance
Les paillardes romances
Qui font peur aux nonnettes
Puis je veux qu’on m’emmène
En haut de ma colline
Voir le soir qui chemine
Lentement vers la plaine
Et là debout encore
J’insulterai les bourgeois
Sans crainte et sans remords
Une dernière fois

Après mon dernier repas
Je veux que l’on s’en aille
Qu’on finisse ripaille
Ailleurs que sous mon toit
Après mon dernier repas
Je veux que l’on m’installe
Assis seul comme un roi
Accueillant ses vestales
Dans ma pipe je brûlerai
Mes souvenirs d’enfance
Mes rêves inachevés
Mes restes d’espérance
Et je ne garderai
Pour habiller mon âme
Que l’idée d’un rosier
Et qu’un prénom de femme
Puis je regarderai
Le haut de ma colline
Qui danse qui se devine
Qui finit par sombrer
Et dans l’odeur des fleurs
Qui bientôt s’éteindra
Je sais que j’aurai peur
Une dernière fois

Le Chiffon Rouge

Le Chiffon Rouge

Michel Fugain

 

Accroche à ton cœur un morceau de chiffon rouge
Une fleur couleur de sang
Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge
Lève-toi car il est temps
Allons droit devant vers la lumière
En levant le poing et en serrant les dents
Nous réveillerons la terre entière
Et demain, nos matins chanteront

Compagnon de colère, compagnon de combat
Toi que l’on faisait taire, toi qui ne comptais pas
Tu vas pouvoir enfin le porter
Le chiffon rouge de la liberté
Car le monde sera ce que tu le feras
Plein d’amour de justice et de joie

Accroche à ton cœoeur un morceau de chiffon rouge
Une fleur couleur de sang
Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge
Lève-toi car il est temps

Tu crevais de faim dans ta misère
Tu vendais tes bras pour un morceau de pain
Mais ne crains plus rien, le jour se lève

Compagnon de colère, compagnon de combat
Toi que l’on faisait taire, toi qui ne comptais pas
Tu vas pouvoir enfin le porter
Le chiffon rouge de la liberté
Car le monde sera ce que tu le feras
Plein d’amour de justice et de joie

Les Cerises de Monsieur Clément

Les cerises de Monsieur Clément

Michel Fugain

 Un certain Clément Jean Baptiste
Qui habitait rue Saint-Vincent
Voulant écrire un compliment
Trempa sa plume dans le sang
Qu’elles étaient rouges les cerises
Que nous chantait Monsieur Clément

C’était plus beau qu’un Evangile
C’était des mots de maintenant
Mais il faudrait que nos enfants
N’attendent pas comme on attend
Qu’elles mûrissent les cerises
Que nous chantait Monsieur Clément

Bien sûr c’est difficile
De mourir quand on a vingt ans
Mais pour quelques cerises
Que ne ferait-on au printemps


De République en République
Toujours cocu toujours content
On applaudit les bons truands
Au ventre rond au ventre blanc
Qui nous revendent les cerises
Qu’avait rêvé Monsieur Clément

Tous ces pontifes des Eglises
Tous ces suiveurs de régiments
Voudront nous manger tout vivant
Mais ils se casseront les dents
Sur les noyaux de ces cerises
Du verger de Monsieur Clément

Bien sûr c’est difficile
De mourir quand on a vingt ans
Mais pour quelques cerises
Que ne ferait-on au printemps

https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=FuofdO2jX58

Tombé du ciel

Tombé du ciel

Jacques Higelin

 

 

Tombé du ciel à travers les nuages
Quel heureux présage pour un aiguilleur du ciel
Tombé du lit fauché en plein rêve
Frappé par le glaive de la sonnerie du réveil
Tombé dans l’oreille d’un sourd
Qui venait de tomber en amour la veille
D’une hôtesse de l’air fidèle
Tombée du haut d’la passerelle
Dans les bras d’un bagagiste un peu volage
Ancien tueur à gages
Comment peut-on tomber plus mal

Tombé du ciel rebelle aux louanges
Chassé par les anges du paradis originel
Tombé d’sommeil perdu connaissance
Retombé en enfance au pied du grand sapin de Noël
Voilé de mystère sous mon regard ébloui
Par la naissance d’une étoile dans le désert
Tombé comme un météore dans les poches de Balthazar
Gaspard Melchior les trois fameux rois mages
Trafiquants d’import export

Tombé d’en haut comme les petites gouttes d’eau
Que j’entends tomber dehors par la f’nêtre
Quand je m’endors le coeur en fête
Poseur de girouettes
Du haut du clocher donne à ma voix
La direction par où le vent fredonne ma chanson

Tombé sur un jour de chance
Tombé à la fleur de l’âge dans l’oubli

C’est fou c’qu’on peut voir tomber
Quand on traîne sur le pavé les yeux en l’air
La semelle battant la poussière
On voit tomber des balcons
Des mégots, des pots d’fleurs
Des chanteurs de charme
Des jeunes filles en larmes
Et des alpinistes amateurs

Tombés d’en haut comme les petites gouttes d’eau
Que j’entends tomber dehors par la f’nêtre
Quand je m’endors le cœur en fête
Poseur de girouettes
Du haut du clocher donne à ma voix
La direction par où le vent fredonne ma chanson

Tombé sur un jour de chance
Tombé par inadvertance amoureux
Tombé à terre pour la fille qu’on aime
Se relever indemne et retomber amoureux
Tombé sur soi, tombé en pâmoison
Avalé la ciguë goûté le poison qui tue

L’amour, l’amour encore et toujours

Louise

Louise

Gérard Berliner

Mais qui a soulagé sa peine
Porté son bois porté les seaux
Offert une écharpe de laine
Le jour de la foire aux chevaux

Et qui a pris soin de son âme
Et l’a bercée dedans son lit
Qui l’a traitée comme une femme
Au moins une fois dans sa vie

Le bois que portait Louise
C’est le Bon Dieu qui le portait
Le froid dont souffrait Louise
C’est le Bon Dieu qui le souffrait

C’n’était qu’un homme des équipes
Du chantier des chemins de fer
À l’heure laissée aux domestiques
Elle le rejoignait près des barrières

Me voudras-tu moi qui sais coudre
Signer mon nom et puis compter,
L’homme à sa taille sur la route
Passait son bras, la promenait

L’amour qui tenait Louise
C’est le Bon Dieu qui le tenait
Le regard bleu sur Louise
C’est le Bon Dieu qui l’éclairait

Ils sont partis vaille que vaille
Mourir quatre ans dans les tranchées.
Et l’on raconte leurs batailles
Dans le salon après le thé

Les lettres qu’attendait Louise
C’est le Bon Dieu qui les portait
La guerre qui séparait Louise
C’est le Bon Dieu qui la voyait

Un soir d’hiver sous la charpente
Dans son lit cage elle a tué
L’amour tout au fond de son ventre
Par une aiguille à tricoter

Si je vous garde Louise en place
C’est en cuisine pas devant moi
Ma fille prie très fort pour que s’efface
Ce que l’curé m’a appris là

Et la honte que cachait Louise
C’est le Bon Dieu qui l’a cachée
Le soldat qu’attendait Louise
C’est le Bon Dieu qui l’a vu tomber

Y a cinquante ans c’était en France
Dans un village de l’Allier
On n’accordait pas d’importance
A une servante sans fiancé

Le deuil qu’a porté Louise
C’est le Bon Dieu qui l’a porté
La vie qu’a travaillé Louise
C’est le Bon Dieu qui l’a aidée

https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=55qf3GOOCmM

L‘âme des poètes

L‘âme des poètes

Charles Trénet

 

https://www.youtube.com/watch?v=6cDnV5c7Y3s

 

Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
La foule les chante un peu distraite
En ignorant le nom de l’auteur
Sans savoir pour qui battait leur cœur
Parfois on change un mot, une phrase
Et quand on est à court d’idées
On fait la la la la la la
La la la la la la

Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
Un jour, peut-être, bien après moi
Un jour on chantera
Cet air pour bercer un chagrin


Ou quelque heureux destin
Fera-t-il vivre un vieux mendiant
Ou dormir un enfant
Ou, quelque part au bord de l’eau
Au printemps tournera-t-il sur un phono

Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leur âme légère court encore dans les rues

Leur âme légère, c’est leurs chansons
Qui rendent gais, qui rendent tristes
Filles et garçons
Bourgeois, artistes
Ou vagabonds.

Longtemps, longtemps, longtemps
La la la…

A la Manicouagan

La Manic
Georges Dor

Si tu savais comme on s’ennuie
A la Manic
Tu m’écrirais bien plus souvent
A la Manicouagan
Parfois je pense à toi si fort
Je recrée ton âme et ton corps
Je te regarde et m’émerveille
Je me prolonge en toi
Comme le fleuve dans la mer
Et la fleur dans l’abeille

Que deviennent quand j’suis pas là
Mon bel amour
Ton front doux comme fine soie
Et tes yeux de velours
Te tournes-tu vers la côte nord
Pour voir un peu, pour voir encore
Ma main qui te fait signe d’attendre
Soir et matin je tends les bras
Je te rejoins où que tu sois
Et je te garde

Dis-moi c’qui s’passe à Trois-Rivières
Et à Québec
Là où la vie a tant à faire
Et tout c’qu’on fait avec
Dis-moi c’qui s’passe à Montréal
Dans les rues sales et transversales
Où tu es toujours la plus belle
Car la laideur ne t’atteint pas
Toi que j’aimerai jusqu’au trépas
Mon éternelle

Nous autres on fait les fanfarons
A cœur de jour
Mais on est tous des bons larrons
Cloués à leurs amours
Y’en a qui jouent de la guitare
D’autres qui jouent d’l’accordéon
Pour passer l’temps quand c’est trop long
Mais moi, je joue de mes amours
Et je danse en disant ton nom
Tellement je t’aime

Si tu savais comme on s’ennuie
A la Manic
Tu m’écrirais bien plus souvent
A la Manicouagan
Si t’as pas grand-chose à me dire
Ecris cent fois les mots « Je t’aime »
Ça fera le plus beau des poèmes
Je le lirai cent fois
Cent fois cent fois c’est pas beaucoup
Pour ceux qui s’aiment

Si tu savais comme on s’ennuie
A la Manic
Tu m’écrirais bien plus souvent
A la Manicouagan

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=XNPJaKMIufI

Après l’amour

Louis Aragon

Après l’amour

 

https://www.youtube.com/watch?v=LH5qSdkpEOE

 

 

Je me souviens de cette ville
Dont les paupières étaient bleues
Où jamais les automobiles
Ne s’arrêtent que quand il pleut

Une lessive jaune et rose
Y balançait au bord du ciel
Où passaient des canards moroses
Avec un ventre couleur miel

On y a des manières d’être
Qu’ailleurs on ne voit pas souvent
Juste s’entrouvre une fenêtre
Qu’un rideau blanc s’envole au vent

Toutes les filles le dimanche
S’en vont flâner au bord de l’eau
Elles se gardent les mains blanches
Pour attirer les matelots

Le plus souvent marins d’eau douce
Rencontrés sous les peupliers
On voit qu’ils ne sont plus des mousses
Comme ils dénouent les tabliers

Tout est vraiment sans importance
Un jour ou l’autre on se marie
Les charpentiers dans l’existence
Épousent la Vierge Marie

Les hommes facilement chantent
Et jurent plus facilement
Quand leurs femmes se font méchantes
Ils leur procurent des amants

Le conjoint rentre sur le tard
Avec une haleine d’anis
L’épouse élève ses bâtards
Et leurs héritiers réunis

C’était peu après l’autre guerre
Les morts aiment qu’on parle d’eux
Or les vivants n’y pensaient guère
Ils dormaient déjà deux par deux

La vie avait fait ses vendanges
Il faut laisser poser le vin
Nous n’avions pas tous un cœur d’ange
Dans les vignes des années vingt

J’étais plus fou que raisonnable
Elle ou moi qui donc s’en alla
Mais sait-on bien pourquoi le sable
Retombe ici plutôt que là

J arrivai par un soir de fête
Les enfants portaient des flambeaux
Tous les vieux jouaient les prophètes
Tous les jeunes gens semblaient beaux

Sous les pieds partaient des amorces
On promenait un Saint doré
Ce qui tournait au tour de force
Dans les ombres démesurées

On avait cueilli les lavandes
Gela se sentait à plein nez
Aux mains furtives qui se tendent
Comme aux paniers abandonnés

J’avais ma peine et ma valise
Et celle qui m’avait blessé
Riait-elle encore à Venise
Moi j’étais déjà son passé

Le pays me plut comme plaisent
Les gares que l’on voit du train
Mon adresse y fut Chez Thérèse
Treize Place des Tambourins

Sous les platanes de la place
Il se contait mille folies
Rêver seul à la fin vous lasse
Ne rien faire ensemble vous lie

J’adore le bruit des fontaines
La pierre humide où l’on s’assoit
Adieu ma princesse lointaine
Ici bavarder va de soi

Il existe près des écluses
Un bas-quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s’use
À démêler le tien du mien

En bande on s’y rend en voiture
Ordinairement au mois d’août
Ils disent la bonne aventure
Pour des piments et du vin doux

On passe la nuit claire à boire
On danse en frappant dans ses mains
On n’a pas le temps de le croire
Qu’il fait grand jour et c’est demain

On revient d’une seule traite
Gais sans un sou vaguement gris
Avec des fleurs plein les charrettes
Son destin dans la paume écrit

J’ai dilapidé trois semaines
Parmi ces gens insouciants
Leur cachant ma plaie inhumaine
Et mes songes humiliants

Un jour sous les arbres du fleuve
Pourquoi s’était-elle arrêtée
Fallait-il, fallait-il qu’il pleuve
Comme il peut pleuvoir en été

J’ai pris la main d’une éphémère
Qui m’a suivi dans ma maison
Elle avait les yeux d’outre-mer
Elle en montrait la déraison

Elle avait la marche légère
Et de longues jambes de faon
J’aimais déjà les étrangères
Quand j’étais un petit enfant

Les choses sont simples pour elles
Elles touchent ce qu’elles voient
Leur miracle m’est naturel
Comme descendre à contre-voie

Ces femmes d’ailleurs ont des gestes
Qui supposent d’autres plafonds
Et des terrasses où l’on reste
Sans fin devant des cieux profonds

Un air en court dans leur mémoire
Contredire au plaisir qu’on prend
Et dans la glace de l’armoire
Renaît un monde différent

Terrains brûlés lentes rivières
Où les vapeurs portent là-bas
Par une école buissonnière
La canne à sucre et le tabac

Ou bien ce sont d’autres escales
Dans le goudron des ports brumeux
Sous les aurores boréales
Un bateau à aube se meut

L’une dit les eaux transparentes
Les plongeurs pourpres les coraux
L’autre les barques de Sorrente
L’autre le sang roux des taureaux

Celle-ci parla vite vite
De l’odeur des magnolias
Sa robe tomba tout de suite
Quand ma hâte la délia

En ce temps-là j’étais crédule
Un mot m’était promission
Et je prenais les campanules
Pour les Fleurs de la Passion

Tant pis l’autre encore que j’aime
Qui tient son peignoir au Lido
Et quelle main comme un blasphème
Sur sa chambre tire un rideau

Ô vagues de l’Adriatique
Dont le flux dort dans le reflux
Vous vos îles et vos moustiques
Je ne vous verrai jamais plus

Pour une femme mille et une
La chanson finit qu’on chanta
Et s’égarent par les lagunes
Le Doge et la Malcontenta

Dans mes bras les belles soient reines
L’avenir les couronnera
Voici ma nouvelle sirène
Toute la mer est dans mes bras

A chaque fois tout recommence
Toute musique me saisit
Et la plus banale romance
M’est l’éternelle poésie

L’une s’en vient l’autre s’envole
Quatre murs un roman défunt
J’ai perdu son nom ma parole
Que m’en demeure le parfum

Nous avions joué de notre âme
Un long jour une courte nuit
Puis au matin bonsoir Madame
L’amour s’achève avec la pluie

J’ai vu s’enfuir l’automobile
À travers les paupières bleues
Car le bonheur dans cette ville
N’habite que le temps qu’il pleut.