[Melon] du melon en Normandie

Sujet déplacé le vendredi 12 juin 2009 : 17:12par jaki

CULTURE DE LISIEUX

On creuse au midi, ou au levant, vers la mi-avril, une fosse de neuf ou dix pouces de profondeur, où l'on place une couche de fumier de cheval bien chaud et bien tassé, qu'on élève de trois pouces environ au-dessus du sol. On la couvre d'un lit de six à sept pouces de terre bien fine, et bordée avec des gazons serrés fortement pour conserver la chaleur. On pose sur cette couche un chassis de papier huilé de deux pieds de hauteur, de quatre de largeur, et communément de six à sept de longueur. Ce chassis est un demi-cylindre dont la carcasse est formée d'un cadre surmonté de demi-cerceaux sur lesquels le papier est appliqué. C'est peut-être à cet instrument très-simple et fabriqué par les jardiniers eux-mêmes, que l'on doit attribuer la grande extension de la culture dont j'ai l'honneur d'entretenir la Société. Le papier peut durer trois ans, en lui donnant chaque année une nouvelle couche d'huile. L'huile de lin est préférable, elle rend le papier plus transparent et laisse passer plus de rayons nécessaires à la végétation.

La meilleure graine est celle qui est toujours pleine, celle qui provient des fruits les plus mûrs, venus au grand air, et qui tenaient aux tranches supérieures. Quoique vieille, elle lève très-bien : on assure même qu'elle est préférable quand elle a 5 ou 6 ans.

Quelques jardiniers sèment la graine sans la préparer, d'autres la font tremper pendant vingt-quatre heures dans du lait doux, dans du vin ou dans de l'eau-de-vie de 14 à 15 degrés, pour la faire germer : on plante deux pépins ensemble sur la couche à un pouce de profondeur, et on laisse un espace de trois pouces et demi entre chaque plantation. Trois ou quatre jours après, on voit poindre les deux plantes, et quand huit jours sont passés, on arrache la plus faible. Dès que celle qu'on a conservée a deux feuilles (non compris les deux premières appelées oreillons), on les châtre, c'est-à-dire qu'on coupe le coeur, en ayant soin de laisser subsister les deux oeilletons d'où doivent sortir deux bras. Il faut couper, aussitôt qu'ils paraissent, les deux autres bras qui partent des oreillons, et prendre garde d'endommager les feuilles. Il importe beaucoup de châtrer avant de repiquer. Il faut rechausser le jeune plant lorsqu'il s'élève trop sous le chassis : on se sert pour cet effet de terre légère et meuble que l'on monte avec la main jusqu'au collet. On repique le plant deux ou trois jours après qu'il a été châtré. Ce repiquage doit se faire avec précaution. On se sert ordinairement d'un emporte-pièce ou lève-melon, afin que les jeunes pieds soient transportés en motte.

Pour planter un pied de melon en pleine terre, on fait dans une planche un peu saillante ou bombée un trou d'un pied environ de profondeur, et de deux pieds de diamètre. On le remplit de fumier aussi chaud et aussi tassé qu'il se peut. Ce fumier doit dépasser le sol de quatre doigts à-peu-près ; on le couvre de six à sept pouces de bonne terre meuble. L'espèce de butte que l'on forme ainsi doit avoir la figure d'un cône tronqué et convexe en-dessus, afin d'empêcher que l'eau ne séjourne autour de la plante. Quelques cultivateurs donnent au trou moins de profondeur pour économiser le fumier ; mais ils ne réussissent que quand le terrain est léger et bien exposé, et que les années sont favorables. Les centres des cônes doivent être à quatre pieds au moins les uns des autres. Lorsqu'on fait le repiquage par un temps sec, on arrose chaque plante avec un verre d'eau ; on la couvre ensuite avec deux feuilles de papier posées sur deux baguettes courbes et en croix, élevées de trois à quatre pouces et fichées en terre par les deux bouts. La première feuille de papier a un pied environ en carré et n'est pas préparée ; celle de dessus, qui doit résister à l'air, est demi-blanc grand-raisin et a reçu une couche d'huile un mois auparavant. Les coins en sont assujettis par des cailloux ou par d'autres corps pesans pour empêcher qu'elle ne soit enlevée par les vents. On ôte la première feuille six ou huit jours après le repiquage ; on conserve l'autre (celle qui est huilée) jusqu'à ce que les branches la dépassent entièrement : ce qui arrive d'ordinaire entre la Saint-Jean et la Saint-Pierre, où la plante est forte et les fruits assurés : on remue la terre avec une truelle autour des melons, à un doigt de profondeur, trois semaines environ après qu'ils ont été plantés, et l'on répète de temps en temps ces petits labours jusqu'à ce que les branches des pieds soient près de se toucher. Lorsqu'on enlève le papier huilé, on rebêche le plant en entier, en ayant la précaution de ne pas toucher aux racines qui s'étendent fort loin. On doit avoir soin d'ôter les feuilles mortes, de sarcler et de détruire les limaçons et les fourmis.

Il faut laisser peu de bras à la plante quand elle est jeune : les pieds faibles doivent en conserver moins que les pieds forts. Il faut aussi supprimer les branches plates et maigres. Les melons cantaloup ne doivent être arrosés que dans les années très-sèches ; les autres variétés demandent quelquefois un peu d'eau. Il faut être avare d'arrosemens quand la plante est en fleur, de crainte de faire couler les fruits qui paraissent. Lorsqu'ils sont bien arrêtés, il faut pincer à deux ou trois noeuds au-dessus. Il poussera des branches en arrière, mais on en supprimera une partie, autrement ces fruits ne grossiraient pas. Ils doivent être posés sur des tuileaux : la terre les endommagerait. On n'en doit laisser que deux ou trois sur chaque pied.

L'année 1823, dans laquelle j'écrivais ces notes, a été peu favorable aux melons ; j'en ai obtenu cependant, au Jardin des plantes de Caen, cent soixante d'excellens et de très-murs pour la plupart, sur soixante pieds que j'avais élevés en pleine terre. Ce succès a prouvé que l'on peut réussir à Caen, comme à Lisieux, sans le secours du vitrage, et augmenter le commerce des melons dans notre département. Le melon dit d'Honfleur, ou gros maraîcher, est celui que l'on cultive de préférence à Lisieux : il y est mieux naturalisé que les autres. Cependant les melons blancs et les gros cantaloups y réussissent aussi très-bien. On cultive annuellement à Lisieux cinquante à soixante mille pieds de melon qui produisent cent à cent vingt mille fruits, qu'on vend cinquante à soixante mille francs. On voit combien cette culture mérite l'intérêt de la Société, et combien elle doit être encouragée, aujourd'hui que nos débouchés dans les pays étrangers sont augmentés et rendus plus faciles. L'époque où l'on a commencé à cultiver le melon en pleine terre autour de Lisieux n'est pas déterminée. On ne le voyait autrefois que dans des gorges et des vallons bien exposés : il est aujourd'hui partout, et il réussit également dans toutes les situations.

Edité vendredi 12 juin 2009 : 17:12 par jaki


Sujet écrit par posepose le vendredi 12 juin 2009 à 07:11

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