Le temps des Jules d’Etat.

On se sent protégés.

Nous sommes de grands enfants, inconscients du danger. Toujours prêts à faire les pires bêtises et risquant à tout instant l’accident, la mort parfois. C’est pourquoi l’on a inventé les anges gardiens. Qui assurent 24h/24, 7jours/7, une bienveillante surveillance rapprochée pour notre plus parfaite sécurité.
Ils sont de plus en plus nombreux et de plus en plus vigilants. Leur sollicitude à l’égard des bipèdes est inlassable. Elle s’étend désormais à la quasi-totalité des activités imaginables. Des exemples ?
On laisse la broussaille envahir tout alentour de la maison. C’est inflammable, on risque de griller vifs. Les anges sont là pour veiller à ce qu’on la coupe, dans un rayon de 100m autour de la maison. Sous peine d’amende. Même si c’est chez le voisin.
La couper, c’est un début, mais on ne peut pas la laisser sur place. Le premier réflexe ? En faire des tas et y mettre le feu ? Inconscience ! C’est nocif pour la santé, la fumée fait tousser. Pour protéger notre santé, une réglementation interdit désormais l’écobuage. Faut pas rigoler avec la santé. Et, pour empêcher des irresponsables, on monte à grands frais des tours d’observation, pour détecter à distance le jardinier inconscient qui s’aviserait de faire brûler ses fanes de patates. C’est si simple de louer un camion pour emporter tout ça à la déchetterie. Voilà une démarche respectueuse de l’environnement, surtout si c’est un camion électrique.
Que dire des myopes portés sur la bouteille qui confondent les étiquettes du pastis et du désherbant ? Ce risque majeur va disparaître. De façon radicale, en interdisant la vente de ces ersatz d’apéro. Aux amateurs, pas aux pros. Parce que sans doute, en arboriculteurs expérimentés, savent-ils distinguer le 2D4 du guignolet cassis.
Mais le plus utile concerne cette irrépressible tentation qui systématiquement me pousse à envoyer les effluents de ma fosse septique dans mon bassin de captage d’eau potable. Sans la venue d’un trisomique assermenté (qui tous les deux ans, vient vérifier que je ne l’ai pas fait 98€), sans doute y sucomberais-je stupidement. Veiller à ce que nous buvions une eau saine, est-ce trop cher payer ?
La protection de notre santé n’impacte pas seulement les activités champêtres.. Elle étend ses bienfaits à des activités citadines.
Avez-vous récemment acheté une prise électrique multiple ? Vous vous êtes sans doute demandé pourquoi il est si difficile d’y introduire une fiche, et encore plus de l’extraire ? C’est parce qu’on l’a équipée d’un dispositif de sécurité très efficace. Pour nous dissuader d’introduire le bout de la langue dans l’orifice (sont-ils nombreux, les imprudents qui testent de cette façon si le 220 passe bien ?). Ne râlez pas, ça ne vous prendra guère qu’une dizaine de minutes pour faire sauter le bout de plastique qui obstrue le trou d’entrée de la prise.
Pour la voiture, l’achat obligatoire d’un costume fluo pour changer sa roue ou d’un éthylotest, sont de la même farine.. De mauvaises langues insinuent que des pots de vin auraient…
L’obligation d’équiper sa maison de détecteurs de fumée est, elle aussi, digne d’éloges. Et d’une grande utilité pour ceux qui ont le nez bouché…
Et, comment l’État pourrait il rester indifférent devant des fléaux tels que le tabagisme et l’alcoolisme ? Nos infatigables protecteurs ont trouvé un moyen pédagogique pour nous en dissuader : des taxes de l’ordre de 300 à 500 % du prix de production.
Nous allons enfin pouvoir vivre en toute sécurité, car il ne va bientôt plus exister de dangers contre lesquels nous ne soyons protégés. Si ce n’est, bien sûr, les pickpockets, le racket de France Télécom et les agressions à main armée. Mais ils y travaillent. Les solutions ne devraient pas tarder…
Un problème de vocabulaire : je ne sais comment désigner ces anges gardiens dévoués qui nous protègent (même et surtout quand on ne leur a rien demandé). Des protecteurs ? Le terme est ambigu et pourrait prêter à confusion avec d’autres corporations : ceux qui avaient trouvé moyen de gagner leur vie en mettant une ou plusieurs filles sur le trottoir. En langage châtié, on les appelait des protecteurs, la justice employait le terme de proxénète, en argot, on disait des maquereaux (ou des Julots).. Il serait fâcheux de laisser planer la confusion entre ces parasites exploitant les femmes, et nos politiques modernes qui ne font pas ça pour l’argent (ils se soucient exclusivement de notre santé et de l’environnement !). Les premiers n’avaient pour formation que l’école de la rue, les nôtres ont suivi les cours de l’ENA..

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